Renaud Lambert on Thu, 12 Feb 2004 19:59:55 +0100 (CET) |
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[nettime-fr] "faire vraiment de la France une terre d'innovation" (MEDEF) |
Depuis le
début de l’année, la pétition « Sauvons la recherche » (http://recherche-en-danger.apinc.org/) a réuni plus de 40000 signatures de
personnels de la recherche alors que les directeurs d’unités menacent de
démissionner de leurs fonctions directoriales le 9 mars. Même si cette menace de
démission collective n’a pas uniquement une signification symbolique
(puisqu'elle se traduirait par une désorganisation au moins partielle de la
recherche française), elle est l'expression ultime d'une colère profonde et si
générale qu'elle dépasse les clivages politiques superficiels et impose un
constat de fond sur la vision de notre société.
Il est donc intéressant, alors que
la couverture médiatique du mouvement s'étiole, de revenir sur les raisons de
cette colère. Depuis de nombreuses années, les
budgets de la recherche sont en diminution. Alors que le président Chirac avait
promis d'accroître de 50% le potentiel de recherche français à l'horizon 2010,
le budget de 2002 affiche une baisse de 30 à 80%. Pire, les sommes dues aux
laboratoires au titre des exercices passés n’ont toujours pas été entièrement
versées en 2004 et le gouvernement tente de maquiller le règlement de cette
dette en effort budgétaire que le monde de la recherche aurait tort de ne pas
applaudir D'autre part, les 10 000 embauches
prévues pour les années à venir ne suffiront pas à couvrir la pénurie de
personnels liée aux départs à la retraite. Au lieu des 550 postes prévus cette
année, le ministère propose 550 CDD, censés couronner dignement 7 ans d’études
(jusqu’à la thèse) et 2 à 3 ans de stage post-doctoral à l’étranger. Ajoutons
que le travail salarié des chercheurs débute à 30 ans, que la durée de
cotisation retraite est supérieure à 40 ans, que les salaires sont assez
faibles, qu’environ seulement 15 % des étudiants trouvent un poste et on
conclura aisément que les études scientifiques longues n’offrent pas des
perspectives d’avenir alléchantes… L'Etat nous invite à lire dans cette
situation les conséquences de difficultés financières dont il est lui-même
victime. Pourtant, la recherche ne représente qu’une goutte d’eau dans son
budget. En effet, et dans l'état actuel des choses, alors que l’Etat finance les
salaires des personnels, il ne prend en charge qu'une faible partie des frais de
fonctionnement des laboratoires. Ceux-ci sont obligés de demander des crédits
pour acheter leur équipement auprès de diverses
organisations. En fait, la situation dans laquelle
se trouve la recherche aujourd'hui est bien le résultat d'une vision idéologique
et le gouvernement applique dans ce domaine les mêmes méthodes
qu'ailleurs. Les secteurs actuellement en cours
de désorganisation par le pouvoir sont l’éducation, la culture, la protection
sociale et la recherche scientifique. On nous explique qu'il s'agit de
privatiser des secteurs entiers de la société afin de créer des emplois (on sait
ce qu’il en est) et de rendre la France plus compétitive. Bien entendu,
l'objectif réel est la course à la rentabilité… et qui dit course à la
rentabilité dit accroissement des bénéfices pour une minorité et de la précarité
pour une majorité… selon l'adage néo-libéral. Ainsi, dans le monde de la
recherche, on invite les entreprises privées à financer des recherches dont la
pérennité devient sujette au « retour sur investissement » générés à
court terme…et par la même occasion, on établit des rapports marchands entre les
individus, instaurant des relations humaines basées sur le
profit. Cette approche peut-elle aussi
fonctionner pour l’activité scientifique ? La Science est une forme de culture,
au même titre et aussi nécessaire que la littérature, la peinture, le théâtre,
la musique, etc. Tout comme les activités artistiques, elle se nourrit de
créativité. Elle représente une manière de penser le monde et de réfléchir à la
place que nous y occupons aussi bien parmi nos semblables que dans l’univers.
Comme toute forme de culture, elle n'est pas toujours d'un abord facile et
nécessite de la rigueur. Elle est toutefois accessible à toute personne curieuse
et capable de fournir un effort intellectuel légèrement supérieur à celui qui
permet de suivre les péripéties des sagas télévisées du type Star Academy et
autres Loft Story…. L'une des plus grandes difficultés
avec la Science est qu’elle n’assène aucune vérité révélée et intangible et
qu’une théorie satisfaisante à une époque donnée peut ne plus l’être à une
autre. En revanche, elle donne la satisfaction de comprendre, au moins
partiellement, certains domaines de notre environnement et à le mérite de nous
faire rêver… et non de nous dessécher l’imagination. Aujourd'hui, le discours officiel
est qu'il faut concentrer nos efforts de recherches dans les domaines "qui
marchent". Mais, toute observation posée et sérieuse montre que les résultats
novateurs viennent souvent de disciplines qui ne promettaient guère de
révolutions. Les avancées scientifiques sont souvent imprédictibles et il est
vain de planifier la recherche de façon dirigiste, comme on le suggère en ce
moment. Après que l’homme est allé sur la lune à la suite du défi lancé par
Kennedy, Nixon a déclaré que la guérison du cancer serait le but des 10 années
suivantes. Même si des progrès ont été faits, le cancer n’est pas guéri et
renouveler ce genre de déclaration relève donc de la
démagogie. De la même façon, l'on entend
aujourd'hui dire qu'il faut mettre en avant le caractère utilitaire de la
recherche… la recherche appliquée… celle dont on semble dire qu'elle recèle
d'avancées lucratives susceptibles de faire décoller les bourses du monde
entier. Il est temps de tordre le cou à une
telle méprise. On peut, en première approche et par commodité, subdiviser
l’activité scientifique en 3 domaines qui interagissent fortement entre eux. La
recherche fondamentale explore des territoires vierges et produit des
connaissances. La recherche appliquée met en valeur ces territoires et de là
vont découler des applications. La technique (appelée « technologie »
le plus souvent) permet de mettre au point des outils performants qui augmentent
les capacités des deux formes de recherche en en reprenant certains résultats.
Ces trois pôles forment un tout organique, un trépied sur lequel repose
l'avancement des connaissances et du bien-être… Négliger l’un de ces pôles,
c'est risquer à terme de les stériliser tous. La recherche fondamentale
pratiquée principalement par les organismes publics fonctionne généralement sur
le long terme sans que l’on puisse prévoir si ses résultats seront rentables en
termes financiers. D'autre part, elle implique de laisser une part importante à
l'erreur, puisque se tromper, en sciences, c'est aussi avancer. Penzias et
Wilson ont découvert en 1965 le rayonnement fossile de l’univers par hasard,
remettant en question l’état stationnaire de l’univers et permettant d’en
envisager un début et une fin. La découverte de la pénicilline, le premier
antibiotique, par Sir Alexander Fleming en 1928 est la résultante d’une série de
hasards. On peut multiplier les exemples, mais il serait inexact de ne
considérer cette activité que comme une exploitation de ces hasards. Le plus
souvent, il s’agit de confronter théorie et résultats expérimentaux : de là
jaillissent des idées nouvelles, fécondes et qui heurtent souvent le sens
commun. La théorie quantique, quasiment impossible à comprendre de façon
intuitive, en est une bonne illustration. Cette recherche coûte de plus en
plus cher car les appareillages utilisés sont de plus en plus sophistiqués, mais
rechigner à la dépense, c'est choisir de mutiler sa recherche. Récemment, alors
que l'appareil de reconnaissance envoyé sur Mars ne répondait plus, la NASA, au
lieu de choisir d'avorter la mission pour limiter les coûts, choisit d'aller
plus loin et d'utiliser son jumeau. De la même façon, l'explosion de la navette
spatiale Challenger n'eut pas pour conséquence de resserrer les cordons de la
bourse qui finançait l'exploration spatiale… Il était nécessaire d'aller plus
loin, de persévérer… Il s’agit cependant là d’opérations de prestige dont les
retombées sur la connaissance sont indiscutables mais avec de nombreuses
arrière-pensées : les Etats-Unis veulent assurer leur suprématie sur Terre
et dans l’espace. Par contre, le télescope Hubble qui rend d‘énormes services
aux astrophysiciens, mais dont le potentiel médiatique est épuisé, va être
abandonné en 2007, pour des raisons de coût d’entretien. Son successeur n’est
prévu que pour 2011. L’incertitude sur les retombées
financières et/ou stratégiques est bien sûr insupportable pour des personnes
et/ou des entreprises qui souhaitent recueillir le maximum d’argent en
investissant au minimum et pendant un minimum de temps. Le gouvernement proclame pourtant
que la recherche précarisée, répondant à la loi de l’offre et de la demande,
sera ainsi dynamisée et plus efficace, les fonctionnaires étant notoirement
inefficaces... Le pays cité comme exemple est évidemment les Etats-Unis ;
on oublie opportunément qu’il y a nombre de permanents dans les laboratoires,
que ceux-ci reçoivent des subventions d’état jusqu’à 10 fois supérieures à
celles données en France et que les salaires sont 3 à 4 fois plus élevés qu’en
France. Le passage dans ces laboratoires d’étudiants post-docs - présenté comme
une panacée - est certainement un atout tant pour le laboratoire que pour
l’étudiant, encore faut-il que ces stages ne s’enchaînent pas pour aboutir, à 45
ans, sur…rien comme c’est fréquemment le cas. On conclura aisément que la
recherche ne survivra pas longtemps en France, même si par le biais de concours
sur l’innovation, le ministère de la recherche remet au goût du jour le concours
Lépine. Mais les enjeux dépassent,
malheureusement, la Science… C'est le bien-être de tout un chacun qui est en
danger. En effet, cette logique de profit mènera-t-elle, des laboratoires privés
à s'intéresser à des maladies rares et sans perspectives de profits financiers
(même si le bénéfice humain et les connaissances que l’on peut en tirer sur les
mécanismes vitaux sont inestimables ?). La place de la recherche
scientifique dans une société doit être sujette à débat : quelle Science
pour quelle société ? Il faudrait qu’un tel débat ait lieu de la façon la
plus large possible et que les orientations ne soient pas données de façon
autoritaire et arbitraire (ce qui ne pourrait qu’aboutir à un gâchis et à des
aberrations, qu’on se souvienne de la génétique prolétarienne de Lyssenko et de
ses résultats sur l’agriculture soviétique !) Actuellement, la démocratie-marché
demande à la Science de devenir rentable à court terme, de répondre à la loi de
l’offre (laquelle ?) et de la demande (laquelle ?) en créant des
start-up et en prenant de nombreux brevets .Bref, il faut produire de
l’argent… Mais, si les scientifiques ont à
cœur de bien faire leur métier et d’assurer un certain retour à ceux qui leur
permettent de faire ce métier qui leur plaît, ils n’ont pas tous le réflexe ni
l’envie de faire monter le Nasdaq. Jean-François Chich – chargé de
recherche à l'INRA |