Patrick de Colomby on Tue, 23 Mar 2004 17:34:32 +0100 (CET) |
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[nettime-fr] [Miguel Benasayag est viré de France Culture |
http://www.bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=5308
Miguel Benasayag expulse de France culture
De Evelyne Sire-Marin, magistrat, membre du Syndicat de la magistrature
Ceux qui appréciaient les chroniques quotidiennes de Miguel Benasayag dans
les "matins de France Culture", à 8h30, s'apercevront lundi prochain
qu'elles sont supprimées. En effet, Miguel Benasayag a été licencié par
Laure Adler, la directrice des programmes de France Culture, jeudi 18 mars
et a fait sa dernière chronique ce vendredi 19 mars. La chronique de jeudi
s'appuyait sur le texte ci dessous, comparant le programme sécuritaire du
Front National et les réalisations de N Sarkozy ; cette chronique
finissait par un soutien à Albert Levy, dont le procès commençait jeudi
matin. La directrice des programmes de France culture a estimé que les
chroniques de Miguel étaient trop orientées politiquement , et
mentionnaient trop souvent les combats du DAL (droit au logement) ou du
Syndicat de la Magistrature( comme ce fut le cas jeudi).
Il faut savoir que l'une des chroniques précédant celle de Miguel
Benasayag dans les "matins de France Culture"est celle d'Alain Gérard
Slama, à 7h45, journaliste au Figaro, dont il n'est pas exagéré de dire
qu'elles sont, elle-aussi, "très orientées" ! Mais l'orientation de droite
n'en est pas une ; comme chacun sait, c'est l'expression du "bon sens"...
Ceux qui aimaient les analyses de Benasayag peuvent écrire qu'ils
regrettent son absence à : Laure Adler, Directrice des programmes de
France Culture, Maison de Radio France, 110 avenue du Président Kennedy,
75786, Paris, cedex 16. Ils peuvent aussi acheter le dernier livre de ce
philosophe/psychanalyste : La fragilité, éditions la Découverte, qui
paraîtra la semaine prochaine Décidemment, les digues de la résistance à
l'ordre sarkozien cèdent unes à unes...
Voici ci dessous le texte servant de canevas à la chronique de jeudi 17
mars, suivie du licenciement du chroniqueur...
A QUOI SERVENT LES LOIS SECURITAIRES ?
Les textes sécuritaires votés depuis deux ans à l'initiative du
gouvernement n'ont paradoxalement pas pour objet de réduire la
délinquance, pas plus que la loi contre les discriminations n'aura pour
effet de réduire le nombre de foulards islamiques dans les écoles. Ces
lois stigmatisent au contraire des populations cibles, en les excluant
socialement, comme si l'objectif était de les dresser contre la
République. On aura ainsi obtenu la démonstration recherchée, selon
laquelle il est décidement impossible d'intégrer dans la société française
les femmes musulmanes et les jeunes des banlieues, appartenant d'ailleurs
aux mêmes réserves de ces nouveaux indiens, les "arabo-musulmans". Tout ce
passe comme si, au contraire, ces lois d'exclusion devaient maintenir la
pression de la peur sur les électeurs, entretenir leur effroi pour les
refuznik de la République, en attendant les barbares des banlieues au
journal télévisé du soir.
Le but des lois sécuritaires est d'utiliser politiquement la délinquance
de rue comme trompe-l'oeil idéologique, de masquer le démantèlement de
l'état social, tel qu'il résultait du programme de 1945 du Conseil
National de la Résistance. Mais l'actuel gouvernement risque d'être
lui-même victime de ce jeu de leurre de l'opinion publique ; car il est en
train de réaliser en partie le programme du Front National (187 pages, 300
propositions), sans pour autant être certain de capter l'électorat
d'extrême droite. Séduire l'électorat d'extrême-droite Il apparaît que sur
les 24 propositions du F.N. ,en matière de "justice et police", 11 d'entre
elles ont déjà été réalisées par D. Perben et N Sarkozy. - "expulser les
délinquants étrangers" :
A cette fin, la loi immigration du 26 nov 2003 fait passer de 12 à 32
jours le délai de rétention des sans papiers pour augmenter le taux
effectif d'expulsions. - "bannir la politisation de la magistrature" : Le
projet du Garde des Sceaux de modifier le serment des magistrats en
étendant l'obligation de réserve y pourvoira, ainsi que les poursuites
actuelles contre des magistrats du Syndicat de la Magistrature : Hubert
Dujardin (affaire Tibéri et hélicoptère dans l'Himalaya), Albert Levy
(affaire des cantines du front national à Toulon) C Schouler (livre "vos
papiers" sur les contrôles d'identité ) et E Alt ( déclaration contre la
loi Perben 2 à l'audience). "organiser une coopération étroite entre
police et justice" :C'est l'idée de "chaîne pénale"qui supprime la
séparation des pouvoirs entre l'exécutif et le judiciaire ; la circulaire
du 4 février 2004 du ministère de l'intérieur enjoint même aux policiers
de faire des remontrances aux procureurs si leurs décisions ne leur
conviennent pas. - "rétablir la justice de paix" :
la loi du 9 septembre 2002 crée les juges de proximité, notables locaux
sans indépendance statutaire. - "réhabiliter les peines promptes,
certaines et incompressibles" : La loi Perben du 9 septembre 2002 permet
de prononcer jusqu'à 20 ans de prison en comparution immédiate. "réduire
l'écart entre le maximum et le minimum de la peine" : La proposition de
loi sur les peines plancher, soutenue par N. Sarkozy, prévoit que
l'emprisonnement ferme sera automatique à la 3ème récidive ; par exemple,
on ira en prison pendant 3 ans, au 4ème vol de CD rom. "rééchelonner la
hiérarchie des peines" :
la loi "criminalité organisée du 9 mars 2004 punit par exemple de 15 ans
de prison le vol en série de pièces de monnaie dans les horodateurs,
organisé par 3 personnes, y compris des mineurs ; un attouchement sexuel,
sans violence physique, sur une adolescente, entraînera l'inscription de
l'auteur pendant 20 ans sur le fichier des délinquants sexuels, après
l'exécution de sa peine, et rendra très difficile sa réinsertion. - "
sanctionner les manifestations publiques de la débauche" :
la loi sécurité intérieure du 18 mars 2003 crée le délit de racolage
passif. -"créer 13 000 nouvelles places de prison" : loi de programmation
de la justice du 3 août 2002 le prévoit. "resocialiser les mineurs
délinquants en centres fermés et responsabiliser les parents" :la loi du 2
août 2002 crée 600 places en centres éducatifs fermés et le projet sur la
prévention de la délinquance imposera des stages payants aux parents
"irresponsables". -"améliorer la rémunération des policiers" : des primes
de rendement sont créées pour les policiers et les magistrats.
Il manque encore, dans l'application du programme du FN par le
gouvernement Sarkozy, le rétablissement de la peine de mort, la
suppression de l'Ecole de la Magistrature et l'interdiction du
syndicalisme dans la magistrature Les lois sécuritaires ont deux objectifs
communs : - identifier et contenir les populations inutiles pour l'ordre
économique, les classes non laborieuses (chômeurs, jeunes des cités,
immigrés, mendiants, prostituées, nomades) étant devenues des classes
dangereuses. - traiter pénalement les questions sociales en marginalisant
l'autorité judiciaire, afin de passer du traitement artisanal actuel de la
délinquance par la justice, à un traitement de masse, industriel, cogéré
par les autorités administratives.
Les prescriptions de la Convention Européenne des Droits de l'Homme
(droits de la défense, présomption d'innocence) ralentissent en effet la
production de sanctions par la justice. Le projet "prévention de la
délinquance"de N. Sarkozy permet à des autorités administratives de
coproduire des sanctions pour les familles "à problèmes". En amont de la
justice, les maires pourront imposer des stages parentaux payants, des
tutelles aux prestations sociales, des expulsions pour troubles de
voisinage ; en aval de la justice, l'administration pénitentiaire devient
juge de l'application des peines afin d'accélérer la gestion des flux
carcéraux , en accordant elle-même des réductions de peine (loi
criminalité organisée).
Ce traitement pénal de masse de la délinquance a en outre l'avantage de
créer des emplois dans l'industrie de la punition (surveillants
pénitentiaires, vigiles...,). Le leurre sécuritaire : Ces lois
sécuritaires ont une fonction de captation de l'opinion publique,
d'occultation idéologique de la politique actuelle de liquidation de
l'état social. L'objet réel de la loi contre le foulard à l'école et des
lois sécuritaires n'est pas de traiter les problèmes qu'elles dénoncent
(intégrisme, délinquance, criminalité organisée...). Il faut au contraire
que ces phénomènes perdurent. Il est même souhaitable que les chiffres de
la délinquance contre les personnes augmentent ou soient gonflés pour
tenir en haleine les électeurs apeurés ; il est nécessaire de stigmatiser
les filles voilées et le danger musulman pour détourner l'attention des
chiffres du chômage, des délocalisations d'entreprises, des enfants vivant
en France en dessous du seuil de la pauvreté (1million 1/2), de
l'augmentation des expulsions locatives et du nombre de S.D.F.
Pendant qu'on agite le chiffon rouge contre de jeunes lycéennes voilées et
contre l'insécurité de nos villes (pourtant les délits de voie publique
ont diminué de 21% en 2 ans à Paris), les affaires du MEDEF peuvent
continuer. L'attention des électeurs est détournée, et c'est bien là
l'essentiel, de la détresse des chômeurs, de la précarisation des salariés
et de la remise en cause du système des retraites et de l'assurance
maladie. Le résultat certain de la loi "contre les discriminations" est
qu'on exclura de plus en plus de jeunes filles des lycées, car le
durcissement de convictions déjà rigides est le réflexe de tout groupe
victimisé. Le résultat annoncé des lois sécuritaires est qu'on entassera
encore plus de détenus dans les prisons, dont chacun sait qu'elles sont
des machines à produire de la récidive.
Ainsi, selon les statistiques du ministère de la justice, 65% des
personnes condamnées à de l'emprisonnement ferme retourneront en prison,
tandis que seulement 11% de ceux qui ont bénéficié d'une peine de sursis
simple ou d'une libération conditionnelle récidiveront (infostats justice
juillet 2003). L'emprisonnement n'a donc pas pour effet de réduire la
délinquance ! Un ordre mobile Malgré l'inefficacité réelle de
l'emprisonnement sur la délinquance, la machine pénitentiaire tourne à
plein régime : Déjà presque 61 000 détenus, (c'est à dire 7% de hausse en
un an !) en février 2004, et l'inflation s'amplifiera par la création de
nouvelles infractions (loi Sarkozy), tandis que le nouveau jugement sur
négociation de la peine avec le procureur va la faire exploser.
Au lendemain des élections présidentielles d'avril 2002, une député UMP
(N.. Kosciusko-Morizet, le Monde du 14 nov 2002) avait plaidé pour
l'avènement d'un "ordre mobile" : "Il importe avant tout que le curseur de
l'action se place là où l'adhésion accompagne le signe de l'ordre". Ordre
mobile, justice en temps réel, ce sont des valeurs "modernes", empruntées
à la mondialisation du marché, qui entrent dans l'univers judiciaire.
Comme la circulation des marchandises, les lois doivent être fluides et
flexibles, et la justice doit être immédiate. Effrayant aveu d'un projet
de société pénalisant la simple contestation de l'ordre, N Sarkozy met en
place cet "ordre mobile" : Les infractions crées par la loi "sécurité
intérieure" du 18 mars 2003 ne résultent plus d'un préjudice matériel et
concret causé à quelqu'un ; elles se déduisent d'un comportement, mendier,
se prostituer, bavarder en groupe devant un immeuble...L'ordre social seul
est en cause dans ces nouvelles infractions qui n'occasionnent aucun
préjudice à une victime particulière.
La loi "criminalité organisée" du 9 mars 2004 complète le dispositif en
orientant ces procédures vers "la négociation de la peine" avec le
parquet. Une misérable justice, sans juges et sans audiences, pour des
affaires de misère. Aux Etats-Unis, ce système de plea-bargening a été
déterminant dans l'émergence des villes-prisons (taux d'incarcération 7
fois supérieur à celui de la France), accompagnée par l'automaticité des
peines fermes en cas de récidive. Séparer les populations utiles des
populations inutiles Les récents textes sécuritaires s'articulent donc par
une vision cohérente de l'organisation sociale, dont l'objet est de
séparer les populations utiles (électeurs, salariés), des populations
inutiles (chômeurs , délinquants, immigrés). Qu'il s'agisse de la loi
Perben du 9 septembre 2002 sur les "orientations de la justice", de la loi
Sarkozy du 18 mars 2003 sur la "sécurité intérieure", de la loi sur
l'immigration du 26 nov 2003, ou de la loi "criminalité organisée"du 9
mars 2004, toutes les lois récentes illustrent le traitement pénal des
questions sociales.
Car la disparition des emplois industriels, le déséquilibre des relations
salariés /employeurs, laissent sans activité et sans espoir, d'immenses
réservoirs de main d'oeuvre, jusqu'ici utilisés dans l'essor économique.
Un traitement social de ces populations en déréliction nécessiterait une
autre politique de services publics, une autre distribution des richesses,
que le MEDEF ne peut accepter. La seule alternative qui s'offre à l'actuel
gouvernement est d'appliquer un traitement pénal de masse à ces
populations désormais au chômage pour lesquelles il n'est plus possible de
monter dans l'ascenseur social, et qui ne peuvent même plus prétendre à la
condition ouvrière de leurs parents. La crise du libéralisme détermine
cette régression conservatrice, et ces lois sécuritaires. Celles ci
permettent à la fois d'alimenter la peur, l'individualisme, donc
d'empêcher les mobilisations sociales, mais aussi de créer des emplois
dans "l'industrie de la punition" et de la surveillance, selon l'analyse
de Niels Christie.
L'industrie de la punition L'ensemble du secteur de la sécurité publique
et privée (policiers, vigiles ,surveillants, gendarmes...) représente
presque 400 000 emplois en France ; il est en croissance constante,
puisque 14 000 policiers et gendarmes vont encore être recrutés d'ici
2007. La 13ème édition de "MILIPOL Paris 2003", salon entièrement dédié
aux technologies de la" sécurité intérieure des états et de la lutte
anticriminelle", témoigne de la prospérité de ce secteur économique qui
génère de nouveaux métiers et crée des emplois autour de la biométrie
(identification humaine), des caméras intelligentes, des entreprises
d'intelligence économique (stratégie du risque)...
Bourdieu remarquait déjà en 1993, dans "la misère du monde", que le
chiffre d'affaires de la sécurité privée représentait le tiers du budget
de la police nationale (article de Rémi Lenoir, "désordre chez les agents
de l'ordre") . C'est ainsi que dans une période où 10% de la population
est au chômage, la prison a une fonction asilaire, mais aussi un rôle
économique. L'ouverture des champs pénitentiaire et judiciaire aux
entreprises privées se manifestent par des modifications importantes des
règles concernant les marchés publics : Les lois de programmation pour la
sécurité intérieure et pour la justice prévoient des dérogations aux
procédures d'appels d'offres, pour la construction des 13 000 nouvelles
places de prison et des 600 places de centres fermés pour mineurs.
Le montant des sommes engagées s'élevant à 1,3 milliards d'euros pour les
seules prisons, tout le secteur des travaux publics va bénéficier de la
politique du tout carcéral, sans compter la construction de commissariats
et de la création d'une centaine d'unités de gendarmerie, d'ici 2007
(toujours selon des procédures dérogatoires au code des marchés publics).
Si on se fie aux pratiques actuelles des entreprises du bâtiment, on verra
bientôt le Ministère de la justice lui-même mis en examen dans des
affaires de corruption.... Pour de nombreux groupes (Valeo, Vahiné,
Assistance Publique des Hôpitaux de Paris...), le travail des prisonniers,
payé bien en dessous du SMIC, représente un main d'oeuvre flexible à
souhait, sans syndicat ni risque de grève, sans que le droit du travail ne
s'applique. Les cantines des prisons assurent depuis longtemps de
confortables bénéfices à la multinationale Sodexho.
Les prisonniers sont rémunérés à la tâche pour assembler des matériels de
perfusions ou des équipements de voitures, tandis que des entreprises se
partagent les profits du renouvellement des armes des policiers (300 000
armes de poing pour 90 millions d'euros ), des bracelets électroniques
(Elmotech), des flash balls.... La vidéo surveillance des rues ou des
parkings concerne 388 communes en France, avec un budget d'environ 100 000
euros par commune ; ce marché va se développer considérablement car le
projet de loi Sarkozy sur la "prévention de la délinquance" accorde des
réductions d'impots en cas d'installation de caméras dans les immeubles
collectifs !
Tandis que certains font des affaires grâce à l'expansion du marché du
sécuritaire en profitant de l'idéologie de la tolérance zéro, des pans
entiers de la populations sont reléguées, soit dans une infra-société,
sans services publics et sans égalité des droits, survivants du RMI et du
travail précaire, soit dans les prisons, qui sont plus que jamais, comme
l'a démontré Loïc Wacquant, celles de la misère.
Paris, mars 2004
E. Sire-Marin, Magistrat, membre du syndicat de la magistrature