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[nettime-fr] acrimed: En finir avec les faux débats sur les sondages ? Patrick Champagne
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Présidentielle 2007
En finir avec les faux débats sur les sondages ?
Patrick Champagne
Publié le mercredi 11 octobre 2006
Lors de chaque période qui précède une élection, et cela depuis
l’arrivée médiatique en France, en 1965, de la pratique des sondages
dans la vie politique, est posée à leur propos, de manière récurrente,
par les journalistes et par les hommes politiques, une double question
qui tend à parasiter les campagnes électorales et les débats de fond
qui sont censés être abordés lors de cette occasion importante de la
vie démocratique : on s’interroge d’une part, sur la fiabilité des
sondages (« les sondages se trompent-ils ? ») et, d’autre part, sur
leur légitimité (« les sondages peuvent-ils remplacer - ou font-ils -
l’élection ? », « faut-il ou non les interdire ? »).
Débats à répétitions et croyances inaltérables
Depuis plus de 30 ans, on a droit aux mêmes débats sans que l’emprise
des sondages sur la vie politique n’ait changé, bien au contraire :
sondeurs et politologues rappellent seulement, comme pour excuser par
avance les commentaires pressés ou intéressés qu’ils font des sondages
au fur et à mesure de leur publication (commentaires et pronostics qui
seront d’ailleurs bien souvent démentis par les votes effectifs), qu’un
sondage n’est qu’une photographie à un moment donné de... « quelque
chose » (le rapport de force politique ? un état de « l’opinion
publique » ?). Quant aux responsables politiques, ils feignent
publiquement, lorsqu’on les interroge, de ne pas être dépendants de
cette technologie savante mais manifestent, en fait, un intérêt et une
croyance dans la fiabilité des sondages, croyance qui est très
directement proportionnelle à leur score dans la dernière enquête parue
sur les intentions de vote ou dans les baromètres politiques publiés
régulièrement dans la presse.
Les déconvenues des politiques, les erreurs d’analyse commises par les
spécialistes présents dans tous les grands partis comme les
« plantages » des instituts de sondage, loin de conduire à une plus
grande prudence dans l’appréciation des résultats bruts produits par
ces enquêtes semblent être à peine pris en compte par les milieux
politique et journalistique puisque à chaque nouvelle élection, tout le
monde a apparemment oublié de tirer les leçons de ce qui s’est passé
quelques années auparavant lors des élections précédentes.
La seule chose qui ressort avec évidence de ces débats à répétition est
que, quels que soient les critiques et les arguments avancés, les
sondages sont désormais devenus, pour les responsables politiques comme
pour les journalistes, une pratique dont ils ne peuvent plus se passer.
Les interdire serait à la fois impossible (surtout depuis internet qui
permet de contourner toutes les interdictions) et inutile parce que
cette pratique est désormais inscrite dans le fonctionnement ordinaire
de la vie politique.
Sans doute, journalistes, commentateurs et responsables politiques
feignent-ils une certaine distance à l’égard de ces enquêtes et
rappellent-ils avec insistance que les sondages ne seraient qu’un
élément parmi beaucoup d’autres dans les campagnes électorales et dans
les prises de décision politiques. Manifester publiquement une forte
dépendance à l’égard des sondages ou les prendre en compte de manière
cynique n’est guère conforme à l’idée que nombre de citoyens se font
des responsables politiques. Il reste que l’omniprésence des sondages
dans les débats publics, dans la presse ou dans les conversations
privées des uns et des autres trahit la place majeure qu’ils occupent
en réalité. C’est pourquoi une critique de la pratique actuelle des
sondages, pour avoir quelques chances d’être efficace, ne doit pas
seulement en montrer les limites d’un point de vue scientifique mais
doit également rendre compte des raisons sociologiques de l’engouement
largement magique et irrationnel qu’ils suscitent.
Les sondeurs répondent aux critiques qui leur sont adressées par un
sondage qui est révélateur des limites de leur science (ou de leur
cerveau comme disait Marx), et dont la question, du même ordre que
celles qu’ils posent habituellement, est en gros formulée de la manière
suivante : « Etes-vous pour ou contre les sondages ? » ou « Faut-il
croire ou non aux sondages ? » ou encore « Faut-il ou non les
interdire ? ». Une analyse critique des sondages ne peut être ni
globale - il y a en effet une multitude d’enquêtes par sondage qui sont
de nature et de valeur scientifique très variables - ni tranchée par la
vox populi. Le non spécialiste qui constate par exemple qu’un sondage
sur les intentions de vote effectué à la veille d’un scrutin donne des
résultats très proches des votes constatés lors du dépouillement du
scrutin pourra être conduit à penser que, en général, les sondages sont
fiables alors qu’il s’agit d’un type très particulier de sondage qu’en
outre il est possible de vérifier par le vote ce qui n’est pas le cas
de la plupart des sondages d’opinion réalisés par les instituts de
sondage.
Sondages et sondages
Il y a différents types de sondages et, dans un questionnaire,
différents types de questions qu’il importe de distinguer soigneusement
et de considérer séparément car relevant de critiques scientifiques
totalement différentes. L’interprétation d’un sondage dépend d’une part
de l’échantillon retenu (tous les Français en âge de voter, ou telle ou
telle fraction seulement de la population comme les jeunes, les
sympathisants politiques, les militants, etc.) et du moment où il est
fait (à la veille ou à 6 mois d’une élection, au lendemain d’un
fait-divers très médiatisé, avant ou après un événement ou une campagne
médiatique, etc.).
Elle dépend d’autre part du type de question qui est posé car toutes
les questions ne relèvent pas du même registre. Il importe à cet égard
de distinguer deux types de question (qui peuvent être posées dans un
même questionnaire). Il y a d’une part les questions d’opinion
proprement dites (ce sont les questions du type « vous,
personnellement, que pensez-vous de ... » ou bien « Diriez-vous que
vous êtes plutôt d’accord ou plutôt pas d’accord avec les opinions
suivantes... ») qui sont censées saisir « ce que les gens pensent » de
tel ou tel problème intéressant les commanditaires du sondage (plus
d’ailleurs que les enquêtés). Il y a d’autre part les questions visant
à saisir des comportements ou des intentions de comportement économique
(achat ou intention d’achat), culturel (visite de musée, fréquentation
du cinéma, lecture de livres ou de journaux, etc.) ou politique
(engagement militant ou associatif, comportement électoral).
Si l’on ne considère que les seuls sondages d’intention de vote
préélectoraux, c’est-à-dire ceux qui sont les plus nombreux dans les
médias actuellement et qui sont l’objet de polémiques et de
manipulations, il convient de faire les observations suivantes. Un
sondage visant à saisir des intentions de vote à 8 jours (ou moins)
d’une élection n’a rien à voir avec un sondage de même type réalisé à
plusieurs mois d’une élection bien que la question posée soit
identique. Dans le premier cas, le sondage saisit des votes réels mais
simplement légèrement anticipés, les sondeurs ne faisant que précéder
de quelques jours le scrutin : autrement dit le sondage a lieu à un
moment où la campagne électorale est quasiment terminée et les choix
des citoyens formés. Il n’y a donc pas à s’étonner du fort degré de
prévision de ce type de sondage (dès lors que l’échantillon est bien
constitué et les biais inhérents à ce type d’enquête redressés)
puisqu’il recueille des intentions de votes qui existent parce que
l’élection est proche et que les électeurs sont en quelque sorte sommés
désormais de choisir. Ce type de sondage doublonne le vote effectif, le
révèle par une légère anticipation rendue possible grâce à la
technologie du sondage qui permet de faire voter un échantillon
représentatif des futurs votants.
Cela ne signifie pas pour autant que la publication, à la veille d’un
scrutin, de ce type de sondage n’exerce aucun effet sur une fraction -
sans doute très faible - des électeurs et donc sur les résultats
effectifs de l’élection. Il y a des électeurs qui, dans leur choix
final, peuvent prendre en compte les résultats attendus et révélés par
les sondages.
Ainsi, par exemple, lors de l’élection présidentielle de 2002, le duel
Chirac/Jospin fut tellement annoncé comme évident par les sondeurs
qu’il est probable qu’une petite partie des électeurs situés « à
gauche » a pu, en confiance, au premier tour, réparti ses voix sur les
candidats de la gauche non socialiste (qui étaient particulièrement
nombreux) au point que la seconde position a échappé au leader
socialiste au profit du candidat d’extrême droite. Ce résultat non
prévu a suscité d’ailleurs des regrets - fondés ou non, c’est une autre
question - chez nombre d’électeurs de gauche qui n’avaient pas voté
pour le candidat socialiste au premier tour (« si on avait su... »).
Un phénomène de même nature, mais avec un effet inverse, s’était
produit lors de l’élection présidentielle de 1995 : devant le risque
d’un second tour opposant, selon les sondages préélectoraux, deux
leaders de la droite (Chirac à Balladur), une fraction des électeurs
« de gauche » avait au contraire, dès le premier tour, voté « utile »
en faveur du leader du parti socialiste qui, du coup, était passé en
tête lors du premier tour. Il reste que ces sondages réalisés à la
veille d’une élection peuvent être lus comme des quasi-pronostics
(compte tenu des changements mineurs, mais politiquement importants,
qui peuvent survenir en raison de la publication de ces sondages).
Il n’en va pas de même des sondages sur les intentions de vote qui sont
réalisés à plusieurs semaines, voire plusieurs mois, d’une élection. Ce
sont d’ailleurs, pour l’essentiel, ces sondages qui suscitent réserves,
interrogations et aussi manipulations. Ils bénéficient à tort de la
croyance en la fiabilité qui est reconnue, à juste titre, aux « vrais »
sondages préélectoraux (c’est-à-dire ceux qui précèdent de quelques
jours le scrutin) de sorte que, malgré toutes les mises en garde, ils
sont perçus et commentés comme une anticipation probable du score
électoral.
Or, ces pseudo sondages préélectoraux se distinguent des sondages
précédents par deux propriétés.
D’une part, ils présentent un taux de « non réponses » qui, non
seulement est très élevé parmi les enquêtés effectivement interrogés
mais qui ne tient pas compte des très nombreux refus de répondre
globalement au questionnaire. Il s’ensuit que, dans la présentation des
résultats de ces enquêtes, on ne peut assimiler les non réponses à de
l’abstention et, comme le font les médias, ne prendre en compte, comme
dans un vote, que les seules intentions exprimées en faveur des
candidats déclarés ou proposés par les sondeurs. On peut même se
demander si les enquêtés qui acceptent de répondre à ces sondages ne
constituent pas une sorte de sous échantillon de la population
caractérisée par un engagement politique plus fort et plus stable que
la moyenne et/ou, à l’inverse, par des enquêtés manifestant, à l’égard
des enquêteurs en général, une telle « bonne volonté » qu’ils sont
amenés à répondre quelque chose aux questions qu’on leur pose même
lorsqu’ils ne savent pas quoi répondre.
D’autre part, ces sondages sont réalisés avant la campagne électorale,
avant les débats publics, avant toute connaissance de la liste exacte
des candidats, bref avant ce processus de prise de position qui
s’intensifie à l’approche de chaque élection. On ne vote pas, au moins
tendanciellement, sans se demander pour qui ni pour quoi. La question
posée par les sondeurs dans ce type d’enquête est : « Si dimanche
prochain, vous deviez voter... » Et c’est là que, précisément, réside
tout le problème de ces enquêtes puisque justement, « dimanche
prochain », on ne vote pas encore. Ce dont politologues, journalistes
et responsables politiques ne tiennent pas suffisamment compte dans
l’interprétation des réponses obtenues.
Politiques et journalistes n’ont pas le même tempo que les simples
citoyens. L’on peut comprendre que les candidats potentiels à une
élection puissent souhaiter avoir une idée de leurs chances avant de
prendre la décision de se présenter. L’on peut également comprendre
(tout en le déplorant) que les médias commandent ces sondages pour
pouvoir mettre en scène la compétition politique comme une course
sportive dont ils pourront commenter les moindres péripéties et
changements de position (même sans signification statistique). Il reste
que, plusieurs mois avant une élection, ce n’est pas encore l’heure du
choix pour les citoyens ordinaires.
Les campagnes électorales précédentes ont largement montré combien les
intentions de vote peuvent se modifier dans et par la campagne
électorale, celle-ci faisant partie intégrante du vote et étant un
moment important où se forment des opinions et se choisissent les
leaders qui les incarnent. On sait, par exemple, que les partisans du
« Oui » au traité constitutionnel européen étaient crédités, avant la
campagne électorale, dans les sondages, de 65 % (score trompeur puisque
ne portant que sur la fraction de la population pouvant ou acceptant
d’émettre un avis sur ce sujet très complexe). Ils ne seront plus que
45 % lors du vote effectif en dépit d’une campagne électorale (et
médiatique) qui fut très favorable au « oui » [1]. On sait qu’en
octobre 1980, à 6 mois de l’élection présidentielle, Mitterrand était
crédité de 18 % seulement d’intentions de vote contre 36 % à Giscard
(sondage IFOP) alors que les pourcentages des voix qui se porteront
effectivement sur eux seront respectivement, au premier tour, de 25,9 %
et de 28,3 %. Ou encore qu’en janvier 1995, Balladur était crédité de
29 % d’intentions de vote contre 16 % seulement à Chirac (prévisions
IFOP/SOFRES calculées à partir du sous échantillon des enquêtés ayant
manifesté un choix) alors qu’ils feront respectivement 18,6 % et 20,8 %
au premier tour de l’élection présidentielle 3 mois plus tard.
A propos du « phénomène Ségolène Royal »
Cela étant précisé, il est possible de faire quelques commentaires sur
ce que les médias et certains hommes politiques désignent par
l’expression « le phénomène Ségolène Royal » ? Peut-on dire qu’elle
n’est qu’une pure création des sondages et des médias ?
Une première chose est certaine, s’agissant des sondages, c’est que
l’on ne peut pas soutenir qu’il est possible de manipuler grossièrement
des chiffres qui seraient issus de faux sondages comme ce fut le cas
dans les années 1960 et 1970. En effet, non seulement il existe depuis
une trentaine d’années une réglementation et un contrôle (très formel)
des sondages politiques mais il existe de surcroît plusieurs instituts
en concurrence qui comparent en permanence leurs résultats. Cela ne
signifie pas que toute manipulation ait disparue : celle-ci est
inhérente au fonctionnement même du jeu politique. Elle s’est seulement
déplacée au niveau de l’interprétation des résultats, c’est-à-dire au
niveau du sens qu’il faut donner aux produits à bien des égards (mais
pas à tous...) factuellement indiscutables de ces enquêtes.
La notoriété médiatique de Ségolène Royal résulte entre autres de la
conjonction d’un double processus. D’une part un contexte général,
qu’elle a su habilement mettre a profit, qui pose le problème de la
participation des femmes en politique au niveau le plus élevé à un
moment où se manifeste également, au moins dans les médias, et
peut-être chez une fraction des électeurs, un besoin de changement dans
les « têtes d’affiche » de la vie politique (encore que Ségolène Royal
ne soit pas totalement neuve en politique).
Si le « phénomène Ségolène Royal » n’est pas réductible à une pure
création médiatique, on ne peut pas dire pour autant qu’il ne doit rien
aux médias. Comme dans la formation des cyclones, le champ
journalistique fabrique en permanence, par la logique même de son
fonctionnement, des processus circulaires qui s’emballent puis
disparaissent sans que personne ne soit en mesure, par sa seule
intervention, de les déclencher ou de les arrêter à volonté. Pendant un
temps plus ou moins long, ces processus s’autoalimentent en raison de
la concurrence entre les différents médias, chacun ne voulant pas être
en reste s’agissant de traiter un sujet « qui marche », « qui fait
vendre », qui rencontre un public plus ou moins aléatoire ou fugitif
mais momentanément important. De plus, les médias aiment bien les
affrontements binaires, simples, portés par des personnalités
« people » (on sait tout des problèmes conjugaux de Sarkozy, on a tout
su tout sur l’accouchement de Ségolène Royal et sur sa vie conjugale
avec le premier secrétaire du PS, etc.). L’affrontement politique entre
un homme et une femme est un « plus » du point de vue journalistique.
Chaque média, quotidiennement, apporte sa pierre au sujet perçu comme
porteur et contribue plus encore à le faire exister et à le perpétuer.
Ce que mesurent les sondages, c’est en définitive moins les phénomènes
d’opinion réels et durables que ces « cyclones médiatiques » largement
superficiels. Il s’agit plus de « météorologie politique » que de
débats de société.
Mais si le « cyclone Ségolène » ne semble pas devoir s’affaiblir
rapidement, c’est qu’il est également autoentretenu par la situation
actuelle du parti socialiste et par les luttes internes qui le
traversent. Depuis 2002, ce parti n’a pas un leader incontestable mais
des prétendants nombreux qui, depuis longtemps, attendent leur tour et
se manifestent aujourd’hui à l’occasion de la prochaine élection
présidentielle. Le choix du candidat officiel devant se faire à l’issue
d’un vote des militants, la logique électorale et les usages
manipulateurs des sondages peuvent se déchaîner à l’intérieur même du
parti socialiste.
La réalisation de sondages sur les intentions de vote des Français, ou
même des seuls sympathisants socialistes, qui semblent promettre la
victoire à Ségolène Royal est, pour les uns, utilisée pour faire
pression sur le vote à venir des militants - en politique, il faut
aussi gagner les élections et pas seulement défendre des idées - et,
pour les autres, dénoncée comme un moyen de pression illégitime et même
illusoire sur les militants en imposant l’idée, qu’ils jugent
contestable, que seule Ségolène Royal serait en mesure de l’emporter.
En définitive, les uns mettent en avant ces sondages parce qu’ils leur
sont favorables (de « bons » sondages, ça ne se refuse pas) et les
autres les refusent en grande partie parce qu’ils ne leur sont pas
favorables. Mais il est vrai que avoir de « mauvais » sondages pousse à
être plus critique à leur égard. Si les derniers sondages réalisés
début octobre créditent la candidate socialiste d’un score au premier
tour de 29,5% des intentions de vote (contre 20% et 15% respectivement
à Strauss-Kahn et à Fabius) [2], la « chute » de 4,5% de celle-ci par
rapport aux intentions de vote saisies un mois plus tôt ne peut que
confirmer les doutes à l’égard des sondages de ceux qui estiment que
les choix internes au parti doivent être décidés par les militants et
non par les sympathisants socialistes et encore moins par l’ensemble de
la population.
La pratique des sondages fait qu’une partie importante des débats
internes aux partis politiques (et pas seulement au PS) tourne
désormais autour du sens qu’il faut donner à l’expression « meilleur(e)
candidat(e) ». Est-ce celui qui a le plus de chances de l’emporter (au
regard, trompeur, il faut encore le rappeler, des sondages réalisés
plusieurs mois avant un scrutin) ou est-ce celui qui exprime le plus
fidèlement les idéaux du parti ? Dans l’idéal, les deux, bien sûr. La
question est de savoir si ces deux composantes sont équilibrées ou si
l’une n’écrase pas l’autre. Tout donne à penser que, comme pour
Balladur en 1995, nombre de ralliements internes qui s’observent
aujourd’hui dans les partis et qui sont largement médiatisés doivent
beaucoup au fait que tel candidat potentiel (Ségolène Royal ou Nicolas
Sarkozy aujourd’hui) semblent être en mesure de l’emporter, et donc
pourrait être en mesure de distribuer des postes à ceux qui ont apporté
leur soutien.
Les sondeurs justifient la pratique des sondages préélectoraux en
affirmant que leurs enquêtes permettraient aux Français de désigner
eux-mêmes, démocratiquement, leurs candidats. Il n’est pas question
d’envisager une quelconque interdiction de cette pratique, interdiction
que personne ne pourrait assumer politiquement et encore moins faire
respecter pratiquement. On peut seulement mettre en garde une fois de
plus les citoyens (et aussi les journalistes qui se veulent
« professionnels ») contre les manipulations et surtout contre les
dérives démagogiques que cette pratique encourage chez les acteurs du
jeu politique. Avec les sondages préélectoraux effectués plusieurs mois
avant une élection, c’est, en fait, la logique de l’audimat qui est
appliquée à la vie politique. On mesure des applaudissements sans
nécessairement savoir à quoi les gens applaudissent. On pousse les
candidats potentiels à faire le cirque devant les caméras pour tenter
d’agir sur un score largement illusoire dans l’espoir de se faire
plébisciter par leurs troupes.
La technologie des sondages ne va pas, contrairement à ce qu’affirment
les sondeurs, dans le sens de « plus de démocratie » : avant de
s’interroger sur le fait de savoir si tel(le) candidat(e) a de bonnes
chances d’être élu(e), il serait peut-être bon de savoir pour faire
quoi. Et on peut même se demander s’il ne faudrait pas oublier
totalement les sondages préélectoraux et les petits calculs plus ou
moins cyniques et manipulateurs qu’ils encouragent afin d’en revenir
plus classiquement à une logique inverse de celle qui tend à s’imposer
aujourd’hui, à savoir que chaque parti construise d’abord un vrai
projet de société en réunissant, pour l’élaborer, militants, experts,
spécialistes et ensuite, mais seulement ensuite, voir qui peut, dans
chaque parti, le défendre devant les citoyens avec quelques chances de
succès.
_________________________________________________
[1] Voir sur ce point, dans notre dossier sur le Référendum pour la
ratification du Traité constitutionnel européen, notre rubrique
« Attention !Sondages », et en particulier les articles rédigés par
Patrick Lehingue. Voir également Henri Maler et Antoine Schwartz pour
Acrimed, Médias en campagne. Retours sur le referendum de 2005,
Editions Syllepse, 2005.
[2] Enquête TNS Sofres-Unilog du 4-5 octobre 2006.
http://www.acrimed.org/article2458.html
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