Louise Desrenards on Sun, 17 Dec 2006 21:38:29 +0100 (CET)


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[nettime-fr] L'erreur de Schrodinger : en fait qu'est la vie ? / Schrodinger's error: indeed what is life? / Jean-Jacques Kupiec


Chers amis,

    Veuillez noter un événement concernant la nouvelle pensée des sciences à
l'acte des scientifiques eux-mêmes, un mouvement international émergent où
des chercheurs français sont à l'avant-scène.

Et comme nous annonçons par là une date en janvier 2007, j'en profite pour
vous présenter mes voeux de bonnes festivités entre 6 et 7 et de bonne année
2007,

L.
/////////////



Colloque de Biologie et Philosophie "A quoi sert la modélisation ?"
Mardi 23 Janvier 2007, 9H-17H, Salle Dussane, Ecole Normale Supérieure,
45 rue d'Ulm, Paris.

http://www.cavailles.ens.fr/


/////////////////////////
Ce colloque organisé par le Centre Cavaillès *, animé le matin par
Jean-Jacques Kupiec et l'après-midi par Michel Morange, aura lieu sur le
thème : 

"A quoi sert la modélisation biologique ?"

avec la participation de l'éminent chercheur Britannique en biologie :
    Denis Noble
http://www.google.fr/search?ie=UTF-8&oe=UTF-8&sourceid=mozilla2&q=Denis%20No
ble

    Denis Noble et Jean-Jacques Kupiec sont des biologistes connus pour leur
contestation du déterminisme génétique.
Le livre de Denis Noble "La Musique de la Vie" sortira également en Janvier.
Ce livre critique frontalement la théorie des gènes égoïstes de Richard
Dawkins et propose une métaphore alternative : les gènes sont prisonniers de
l'organisme.

Pour informer le colloque du 23 janvier 2007, voici la recension
de la conférence de Jean-Jacques Kupiec, invité par Denis Noble à la Maison
Française d'Oxford, le 28 novembre 2005.


http://www.mfo.ac.uk/Publications/comptesrendus/Kupiec_fr.htm
Citation intégrale :

    « Histoire des Sciences

    Schrodinger's error: indeed what is life?

    Jean-Jacques Kupiec ,INSERM


    COMPTE-RENDU

    Pour la première étape du ³coup double² en Histoire des Sciences, la
Maison Française reçoit Jean-Jacques Kupiec, chercheur en biologie théorique
à l'Ecole Normale Supérieure, et auteur, avec le biologiste Pierre Sonigo,
de Ni Dieu, ni gène : pour une autre théorie de l'héréditité (Le Seuil,
Paris, 2002).

Le Pr. Denis Noble ouvre la session en soulignant l'importance que revêt
pour lui la venue à Oxford de Jean-Jacques Kupiec. Après avoir lu les
premières ligne de Ni dieu, ni gène , critique radicale du triomphalisme de
la biologie contemporaine, le Pr. Noble propose d'illustrer par une anecdote
les confusions créées par le réductionnisme en biologie. Réduire le vivant à
un texte inscrit dans le génome reviendrait à réduire l'émotion produite par
les trios de Schubert aux séries de O et de 1 inscrites sur le CD : une base
de donnée ne peut pas tout expliquer.

Jean-Jacques Kupiec se donne pour objectif de développer deux idées : (1)
montrer comment le réductionnisme génétique de la biologie moderne reprend
en fait une version modernisée de la métaphysique d'Arsistote, qui conduit à
des impasses théoriques et expérimentales (2) montrer que les principes
darwiniens de variation aléatoire et de sélection peuvent, de la même
manière qu'ils rendent compte de l'évolution des espèces, expliquer des
phénomènes comme l'embryogènèse, quand ils sont appliqués à l'échelle des
populations de cellules.

    ­ 1 ­

    Jean-Jacques Kupiec commence par une relecture critique de l'ouvrage du
physicien Schrödinger What is life ? publié en 1944. Schrödinger, qui est
une figure majeure de la physique quantique, a contribué à travers ce livre
à la fondation théorique et à la popularisation de la biologie moléculaire.
Une question organise l'ouvrage : d'où vient l'ordre des systèmes naturels ?
Pour y répondre, les premiers chapitres opèrent d'emblée une distinction
nette entre la physique et la biologie. Dans le cas de la physique, «
l'ordre provient du désordre » : à partir de phénomènes stochastiques à
l'échelle microscopique, il est possible d'établir des lois ­reproductibles
et déterministes­ à l'échelle macroscopique. La loi des grands nombres
permet l'articulation théorique entre les deux échelles d'analyse.
Schrödinger refuse d'appliquer ce principe à l'ordre biologique. Selon lui,
la loi des grands nombres ne peut en effet pas s'y appliquer, dans la mesure
où le nombre de « particules » impliquée dans l'organisation biologique, les
gènes en l'occurrence, est bien inférieur aux ordres de grandeur courants en
physique. Dans le domaine de la biologie, il faut donc admettre que «
l'ordre est fondé sur l'ordre » : c'est grâce à une « information génétique
» que la forme des organismes peut se mettre en place et se transmettre.
Schrödinger, inspiré par Delbrück, propose même un support à cette
information : un « cristal apériodique » qui contiendrait, sous une forme
codée, l'organisation de l'organisme.

Comment, dès lors, Schrödinger comprend-il la transformation d'une
information génétique codée en un phénotype, i.e le passage d'une
information virtuelle (à une dimension) à un organisme réel (à trois
dimensions) ? Certaines des réponses apportées par Schrödinger, qui croyait
à l'existence de lois physiques spécifiques à la vie, sont aujourd'hui
oubliées. Mais la réponse apportée par la biologie moléculaire a eu une
postérité bien plus grande : elle réside dans le principe de
stéréospécificité. Sur ce point-là, l'analogie avec la métaphysique
aristotélicienne ­basée sur un principe de spécificité, l'essence des
espèces­ est évidente.

La stéréospécificité est un concept établi en immunologie autour du complexe
anticorps-antigène. Appliquée à l'ensemble des protéines, la
stéréospécifité, définie par la forme et la charge de chaque protéine,
limite à un nombre très réduit les possibilités d'associations entre
protéines. Ainsi, à partir d'un ensemble déterminé de molécules, une seule
combinaison serait possible, de la même manière que les pièces d'un puzzle,
par la spécificité de leur forme, ne peuvent s'assembler que d'une seule
façon. L'architecture finale de l'organisme, dès lors, est le reflet des
associations stéréospécifiques des protéines, elles-mêmes déterminées par la
séquence d'acides aminés de chaque protéine, qui n'est que la traduction
fidèle de la séquence de nucléotides. Le processus se résume donc à la
transmission d'une information. Le modèle est puissant : à partir d'une
pièce élémentaire, une chaîne de relations causales permet de reconstituer «
le tout ».

Le modèle a été mis en pratique par les biologistes moléculaires, constate
J.J Kupiec : « isolez un gène, vous comprendrez la vie » semblent signifier
leurs expériences ; à l'horizon du séquençage complet du génôme apparaît
l'explication ultime de la vie. La stéréospécificité est ainsi au fondement
du réductionnisme génétique, qui peut se définir comme l'explication de
l'organisme par les gènes. Sont ainsi réunies les bases consensuelles du
paradigme de la génétique moléculaire, que l'on peut suivre de Schrödinger
aux manuels scolaires actuels, en passant par le fameux « Hasard et
nécessité » de Jacques Monod.

« Cinq ans A.G », cinq années après le séquençage du génôme, nous voilà
pourtant désemparés. Nous n'avons toujours pas compris la vie, et le Modèle
est remis en cause, pour toutes une série de raisons. Pour comprendre ces
problèmes, J.J. Kupiec propose de discuter des origines philosophiques du
modèle. L'idée importante du paradigme dominant est que la matière est
indéfinie, incapable d'organisation. L'idée est très ancienne, et remonte à
Aristote. Pour Aristote, dont un tiers du corpus est consacré à la biologie,
c'est la forme qui dicte le principe d'ontogénèse à partir des quatre
éléments de base (eau, terre, air, feu). C'est la spécificité qui soutient
ainsi le modèle, autrement dit la cause formelle d'Aristote et l'information
génétique sont tous deux des modèles d'« ordre à partir de l'ordre ». Pour
Jean-Jacques Kupiec, la génétique est une version moderne du système
aristotélicien, ce qui affaiblit considérablement sa prétention à la
scientificité. J.J. Kupiec reconnaît qu'il n'y a d'ailleurs rien d'original
à constater cette similarité : Maxime Delbrück, l'un des fondateurs de la
biologie moléculaire, s'amusait même à dire qu'Aristote aurait mérité le
Prix Noble pour sa découverte de l'information génétique, prise dans son
sens étymologique de mise en forme. Alors que la physique a abandonné
l'ontologie aristotélicienne autour de la révolution copernicienne, la
biologie l'a conservée. Faut-il en conclure qu'elle est effectivement
adéquate ? La réponse de Jean-Jacques Kupiec est non : l'ontologie
aristotélicienne n'est pas utile pour l'explication de la vie ; pis, elle
entrave le développement expérimental de la biologie.

Le programme initial de la biologie moléculaire, « isoler des gènes et des
protéines », a permis de réelles avancées, reconnaît Jean-Jacques Kupiec.
Reste qu'une série de problèmes sérieux n'ont jamais été résolus, ni même
affrontés.

Rien ne démontre la stéréospécificité des protéines. La plupart ne sont pas
spécifiques d'un stade de développement ou d'une lignée cellulaire. Les
études des systèmes de transduction (la transmission d'un signal au sein
d'une cellule) ont pu décrire précisément des séquences d'interaction entre
protéines ; mais les réactions en jeu (les phosphorylations) ont un spectre
très large, et concernent des protéines ubiquitaires. Autres exemples,
l'étude in vitro des facteurs de transcription (les protéines qui répriment
ou activent spécifiquement l'expression des gènes en se liant à l'ADN), n'a
jamais pu montrer que la régulation spécifique des gènes repose sur la
stéréospécificité. En fait, la stéréospécificité est un concept qui n'a pas
de traduction expérimentale : les interactions entre protéines sont «
dégénérées » ( degenerate) , n'importe quelle protéine s'associant (
binding) plus ou moins bien à n'importe quelle autre. La seule
caractéristique des associations correspond à la mesure quantitative de la
constante d'équilibre, c'est à dire au temps moyen que dure l'association.
La stéréospécificité n'est donc pas un concept scientifique, mais un concept
métaphysique non-quantifiable.

Pourquoi alors la biologie repose-t-elle sur l'ontologie aristotélicienne ?
Jean-Jacques Kupiec constate en effet un biais dans la façon dont les
biologistes regardent et conceptualisent la vie : la stéréospécificité est
utilisée massivement dans les publications alors qu'elle ne l'est pas au
cours des expériences. Comment expliquer ce biais, qui révèle une difficulté
intrinsèque à la biologie ?

La réponse n'est pas triviale. Jean-Jacques Kupiec propose l'hypothèse
suivante : autant il a été facile pour la physique d'abandonner la
spécificité, autant la biologie, en renonçant aux espèces, fragiliserait
aussi l'identité humaine. Les débats récents sur le clonage ont d'ailleurs
montré ce rôle crucial de la définition de l'humain. Les difficultés de la
biologie lui sont donc spécifiques, et certainement idéologiques.

    ­ 2 ­

    Jean-Jacques Kupiec propose à présent d'envisager une alternative
rationnelle pour répondre à la question « Comment construire un organisme ?
». Comme principe de base, toutes les molécules peuvent s'associer à toutes
les autres : la nature est une fête, pas un défilé militaire ! Différentes
structures peuvent alors apparaître, avec des durées de vie et des
probabilités différentes. Le comportement des protéines comme des cellules
est mieux compris en termes probabilistes, ce que plusieurs travaux récents
ont montré.

Kupiec propose d'introduire la notion de sélection darwinienne. Le fait que
les gènes ne soient pas spécifiques est loin d'être un inconvénient mais
plutôt un avantage en termes d'adaptabilité et de plasticité. Le processus
de sélection choisit une structure, parmi celles générées au hasard, et
l'amplifie. Plutôt qu'un phénomène hiérarchique (modèle aristotélicien) la
sélection est un modèle à deux direction entre génotype et phénotype.
Jean-Jacques Kupiec propose d'appeler ce modèle ­fondé sur l'articulation
entre aléa et sélection­ une biologie darwinienne, qui rompt avec la
génétique. Les premières applications expérimentales de ce modèle ont déjà
vu le jour. Le lien entre la différentiation cellulaire et la contrainte
sélective liée au métabolisme et à l'approvisionnement des cellules en
molécules a par exemple été modélisé.

En guise de conclusion, pour répondre à la question de Schrödinger What is
life ? on peut déjà répondre qu'elle n'est pas le « défilé militaire »
proposé par la biologie moléculaire, mais la question reste ouverte?

­ Discussion ­ 

Denis Noble commence par donner une image de la non-spécificité des
protéines : le « canal potassium », une protéine extrêmement importante en
physiologie cardiaque, interagit avec 40% des composés produits par
l'industrie pharmaceutique ! Autre image saisissante, en considérant que le
génome contient 25000 gènes, si l'on compte le nombre d'interactions
possibles entre ces gènes, plus de 40 pages seraient nécessaires pour écrire
le résultat. En 3-4 milliards d'années, seule une infime fraction des
combinaisons auraient pu être testées. Par ailleurs, Denis Noble revient sur
l'ouvrage de Schrödinger, en insistant sur la justesse de son intuition
concernant le « cristal apériodique ». L'erreur de Schrödinger, pour
reprendre le titre de la conférence, a été de croire qu'il contenait un plan
précis ( blueprint)  : il n'y pas de programme génétique.

J. J. Kupiec ne remet pas en cause les progrès importants qu'a permis la
biologie moléculaire mais juge inutile sa tendance à l'auto-célébration. Un
des apports de la biologie moléculaire a été de permettre d'asseoir
solidement une vision matérialiste de la vie. J.J Kupiec souligne aussi, à
l'attention des historiens des sciences, l'intérêt de l'exemple de
Schrödinger pour montrer comment la théorie précède l'expérience. Annoncée
en 1944, la découverte du « cristal apériodique » attendra 9 ans et les
expériences de Watson&Crick. La biologie a pourtant un problème avec la
théorie, et ne devrait pas se résumer à une simple accumulation de données
brutes.

Bruno Latour demande à J.J. Kupiec de clarifier la différence entre le
modèle qu'il propose et le gène égoïste ( selfish gene) de Dawkins.

Jean-Jacques Kupiec répond que les travaux de Dawkins ne s'attaquent pas à
un problème central de la biologie, mais plutôt à une question périphérique.
La théorie du Dawkins ­ nous sommes seulement des avatars, des propagateurs
des gènes ­ reprend en fait le postulat initial de la génétique, élaboré par
Weizmann depuis plus de 100 ans. Dawkins continue à considérer que la
réalité est dans le gène, et que le gène détermine aussi l'organisme. Il
utilise Darwin de manière minimaliste, en faisant du gène lui-même l'unité
de sélection, et en étudiant par exemple les conflits entre gènes. Il n'y en
fait aucun lien avec la biologie Darwinienne que nous proposons, ni avec les
modèles que nous appliquons pour comprendre la régulation des gènes.

Denis Noble résume ces derniers propos en insistant sur la différence entre
« Dawkinisme et Darwinisme ».

Jean-Jacques Kupiec répond ensuite à une question sur les applications de
son modèle, et sa capacité à promouvoir des programmes de recherche. De plus
en plus d'articles reconnaissent la composante stochastique de l'expression
des gènes. Mais le plus souvent ils la décrivent comme un « bruit », un
effet indésirable en quelque sorte. Pour Jean-Jacques Kupiec, on peut au
contraire concevoir des expériences pour savoir si la stochatsicité relève
du bruit ou si, au contraire, elle constitue la base de l'organisation
biologique. Le principe est simple : il faut quantifier le bruit, et tester
sa corrélation avec des évènements physiologiques ­ puisque le bruit n'est
par définition pas corrélé à la physiologie.

La conférence se termine en évoquant les problèmes liés à la traduction en
anglais de son livre et à sa réception dans le monde anglophone.


    Compte-rendu réalisé par François Zanetti et Gillaume Lachenal »



* Je cite la page d'accueil :
http://www.cavailles.ens.fr/

" Le Centre Cavaillès * est un lieu d¹étude historique et philosophique des
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 La création de ce Centre vise d¹abord à répondre à la demande de nombreux
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 Le Centre Cavaillès n¹est pas une pièce de plus dans le paysage déjà très
éclaté de l¹histoire et de la philosophie des sciences parisiennes et
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* en hommage à Jean Cavaillès (1903-1944) : Normalien, mathématicien et
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