Olivier Auber on Sun, 18 Mar 2007 19:30:34 +0100 (CET)


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[nettime-fr] Quel projet politique pour le réseau?


Bonjour,

l'article figurant ci-dessous est paru le 9 mars dernier dans la rubrique "Rebonds" de "Libération" sous le titre: "LeNet, un bien commun".

Il a été rédigé en plusieurs étapes sur un wiki en tenant compte des remarques des chercheurs citées et d'autres contributeurs, dont certains sont abonnés à cette liste de discussion.
http://overcrowded.anoptique.org/ProjetRebondsLibe


L'édition de "Libération" présente des différences majeures par rapport au texte original, à savoir le titre et le sur-titre de l'article, rédigés sans me consulter par un journaliste de la rédaction, sans doute pour le mettre à la portée des profanes... Malheureusement, ces modifications caricaturent les idées présentées dans l'article, comme en témoignent plusieurs commentaires laissés sur les éditions en ligne:
http://www.liberation.fr/rebonds/239680.FR.php
http://www.ecrans.fr/spip.php?article943


Il ne s'agit pas de présenter la douce utopie d'un Internet "sans opérateur" ou bien de faire un appel corporatiste aux subventions de l'Etat, mais de tenter de relier trois débats ordinairement séparés: le libre, les biens communs et la topologie du réseau, le tout replacé dans l'évolution vers une possible "perspective numérique".

Voici le texte original. J'espère qu'il contribuera aux débats en cours sur cette liste.

Olivier Auber

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cross-posté sur nettime, copyleft attitude et Rescape, désolé pour les doublons.
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La ruée sur le web des candidats à l’élection présidentielle cache une question majeure sur laquelle aucun ne s’exprime:

Quel projet politique pour le réseau?
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par Olivier Auber, chercheur et entrepreneur de l'Internet.
(article rédigé sur le wiki Overcrowded (1) avec le concours de certains de ses contributeurs)


Après Google, c’est au tour de MySpace et autres SecondLife, d’envahir l’Europe. Les services les plus rentables du Web 2.0 sont investis, sans véritable concurrence, par des groupes, le plus souvent nord-américains. Et ce n'est pas faire preuve d'antiaméricanisme que de le dire. Bien que le réseau soit réputé homogène et réparti, le phénomène est centralisé à l’extrême; toutes les données atterrissent dans des machines situées à Palo Alto ou ailleurs. Cette centralisation technique va de pair avec la concentration financière propre au capitalisme informationnel, qui considère les connaissances communes comme des sources de profit. Aujourd’hui, même Yahoo peine face à Google et ses 155 milliards de dollars de capitalisation boursière. C’est dire, si dans ce monopoly mondial, l’économie européenne de l’Internet a déjà perdu.

Nous serons digérés, à moins que nous décidions de changer brusquement les règles du jeu, techniques, juridiques et politiques.

Passer à l'Internet "acentré".
De nombreux services centralisés peuvent être aussi bien réalisés sur un mode acentré, sans l'entremise d'aucun serveur, et donc d'aucun site web. Des exemples? Maay (2), un moteur de recherche P2P développé par des chercheurs de France Telecom, effectue des recherches, certes moins massives que Google, mais plus "sociales", le tout sans aucun centre. VReng (3), conçu par des chercheurs de L'ENST, fonctionne comme SecondLife, mais sans aucun serveur. IPv6, la future norme de l'Internet, gardée sous le coude depuis des années par les opérateurs de télécommunication, pourrait réaliser à la puissance dix ce que le P2P a préfiguré, c'est-à-dire l’échange symétrique entre tous les internautes, sans dépendre de tiers. La fondation internationale pour l’alternative P2P (4) et l'initiative française IPv6PourTous (5) l'ont montré: les opérateurs n’ont qu’à appuyer sur un bouton pour rendre cela possible. De quoi envoyer les travers monopolistiques du Web 2.0 au rayon des souvenirs.


Financer les auteurs de logiciels libres.
Ce que les logiciels propriétaires font, les logiciels libres le font mieux encore. Selon certains candidats à l’Elysée, l’Etat s’y convertirait massivement. Mais qu'en est-il de les financer? En soutenant la recherche et les sociétés de services en logiciels libres? Sans doute. Mais il ne faut pas oublier d’autres acteurs essentiels. Les logiciels libres les plus créatifs sont souvent l'oeuvre de développeurs de tous horizons, travaillant, non pas selon les critères de compétitivité requis par les Agences pour l’Innovation, mais dans un esprit de coopération. Les usages qu’ils défrichent indiquent la voie à suivre. En France, le Parlement a quasiment déclaré hors-la-loi les auteurs de logiciels P2P. Outre-atlantique, au contraire, les industriels s’inspirent de leurs idées et aspirent les individus les plus brillants. Pour sortir de cette spirale dépressive, il faut soutenir, indépendamment des monopoles, les services et la recherche. Il faut aussi financer les auteurs libres d'une manière adéquate, par exemple comme nous l'avons proposé, sur le mode de l'autodétermination des projets et des crédits par les auteurs eux-mêmes.


Développer les Biens Communs.
Les biens immatériels de l'Etat seraient beaucoup mieux valorisés si on leur donnait le statut de Biens Communs (6) librement exploitables. Un calcul simple: l'IGN (Institut Géographique National) est financé à 50% par l'Etat et trouve le reste de ses ressources en vendant ses cartes. A qui? Essentiellement aux collectivités locales. Bref, l'IGN est financé à 100% par les deniers publics. Donc, non seulement ses coûts de commercialisation sont totalement improductifs, mais le fait que ses données soient propriétaires entraîne que leur valorisation, en dehors des circuits publics, est quasi impossible. Il s'en suit un déficit d'activités économiques et donc d'emplois. Ceci qui est vrai pour l’IGN, l’est aussi pour les organismes publics traitant de données statistiques, patrimoniales, urbaines, touristiques, etc. Et combien de brevets issus de le recherche publique, et même privées, attendant d'improbables projets industriels, pourraient être ainsi valorisés? Aux antipodes de cela, les auteurs du rapport Lévy-Jouyet (7) commandé par Thierry Breton, proposent que l’Etat fasse un commerce forcené de ses biens immatériels. Peine perdue, face au capitalisme informationnel, il est vain de se protéger derrière des lignes Maginot. Le service public y perdrait définitivement son âme. Il coûte plus cher de vendre que de donner. Alors donnons nos biens communs. A condition d'éviter leur prévarication ultérieure. Un réseau acentré, nourri de logiciels libres, pourrait y contribuer.


Changer de perspective.
L'incroyable concentration capitalistique qui se déroule sous nos yeux, siphonne l'économie mondiale et pervertit l'esprit de l'Internet. Il faut revenir aux fondamentaux. Quel projet politique peut-on formuler pour le réseau des réseaux? Vers quoi voulons-nous qu'il s’oriente? A mon sens, rien de moins que vers une invention majeure, analogue à la « perspective spatiale », qui marqua le passage du monde hiérarchisé du Moyen Age à celui, géométrisé, de la Renaissance. Il faut quitter l'ère de la « perspective temporelle » née avec le télégraphe, dont les derniers points de fuite sont les émetteurs de télévision et les sites web tels que les nous connaissons. Il s'agit d'entrer dans le temps de la « perspective numérique (8) », dont les « codes de fuite » universellement partagés, permettront aux communautés humaines de se former et d'échanger comme elles l'entendent. Si la République a encore un sens, elle doit tout faire pour que, ce qui constitue désormais le coeur invisible des échanges humains, ne soit pas une fin, mais un moyen. Ainsi, le réseau pourra contribuer à répondre aux grands enjeux planétaires, et à inventer de nouvelles manières de vivre ensemble.


(1) http://overcrowded.anoptique.org/
(2) http://maay.netofpeers.net
(3) http://vreng.enst.fr/
(4) http://p2pfoundation.net/
(5) http://ipv6pourtous.free.fr
(6) http://paigrain.debatpublic.net/?page_id=57
(7) http://rubyurl.com/EjB (Rapport Levy-Jouyet)
(8) http://perspective-numerique.net.



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