copy.cult on Thu, 27 Jun 2002 20:27:05 +0200 (CEST) |
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[nettime-fr] Plan de sécurité du Ministre de la Justice(Belgique) |
complement d'infos: http://www.liguedh.org/ meer informatie http://www.ligavoormensenrechten.be Réaction de la Ligue face au Plan de sécurité du Ministre de la Justice Quand on passe l'arme à droite... (Julien PIERET) Le 10 janvier, le Ministre de la Justice, Marc Verwilghen, présentait à la presse son plan fédéral de sécurité et de politique pénitentiaire. Le document est long, fastidieux, et redondant, la concordance entre les différentes versions linguistiques du texte étant de surcroît pour le moins sujet à caution. Neuf priorités en matière criminelle y sont énoncées, huit moyens d'actions avancés. A peine publié, le plan essuie déjà de nombreuses critiques de la part de criminologues ou de juristes qui mettent en doute l'efficacité de la démarche ministérielle. Pour quelles raisons ? Un rapide examen des orientations et des motivations sous-tendant le contenu du texte permettra de mieux comprendre comment Marc Verwilghen réussit à s'attirer, à juste titre, les foudres des commentateurs... 1. Une vision stérile de la notion de sécurité 2. La politique du tout privé 3. Les prémices d'une sécurité à deux vitesses 4. Une politique encourageant la délation 5.L'absence de réflexion 6. Et les Droits de l'Homme... ? 1. Une vision stérile de la notion de sécurité Largement développée dans l'introduction du plan, la notion de sécurité, telle que la conçoit le Ministre, pose déjà problème. Mesurable, quantifiable, la sécurité, tant objective que subjective, doit essentiellement faire l'objet d'études statistiques (Plan : La sécurité, ch. 2.2). D'autres questions, par exemple de type socio-économique, sont à peine effleurées (ch. 2.3), M. Verwilghen se gardant bien d'y donner des réponses argumentées qui, pour une fois, changeraient des déclarations d'intention de circonstances. Afin de mesurer la sécurité, le Ministre se dote d'un instrument de mesure spécifique : l'Institut national de la Justice et de la Sécurité ( l'I.J.S. ) qui regroupera en son sein le Service de la politique Criminelle et la section Criminologie de l'Institut national de Criminalistique et de Criminologie (projet 2). L'I.J.S., chargé de coordonner et de diriger la recherche scientifique en matière de sécurité, présente immédiatement un danger pour l'indépendance, voire la survie, d'autres organismes menant des recherches criminologiques. Pire, il semble bien, à la « lumière » du plan, que cet institut ne sera qu'un organe justifiant et avalisant les initiatives ministérielles. Ainsi, lit-on que l'institut constituera une «entité scientifique à l'appui de la politique» et que «l'évaluation du dispositif de recherche scientifique externe existant sera effectué quant à sa valeur politique »... On l'aura compris, loin de vouloir engager une recherche scientifique indépendante et cohérente sur le phénomène criminel, M. Verwilghen espère avant tout s'assurer de l'efficacité future de son plan, chiffres à l'appui... Il est intolérable, de la part du Ministre de la Justice, de se cantonner quasi exclusivement à une approche statistique de la criminalité. Loin de représenter la démarche globalisante annoncée, le plan fédéral de sécurité se limite à une vision par essence stérile de la sécurité. En outre, la création de l'I.J.S. remet en cause l'indépendance intellectuelle que l'on est en droit d'attendre de la part d'un organisme de recherche scientifique et n'offre pas de garanties suffisantes quant à la survie d'autres centres externes de réflexion criminologique. 2. La politique du tout privé La vision statistique de la sécurité est une influence de techniques issues du secteur privé, reposant sur les concepts de management et de compétitivité. Elle est loin d'être la seule. Ainsi, la collaboration entre services publics et privés, vieille revendication des sociétés de gardiennage, est vivement encouragée dans de nombreux domaines aussi variés qu'entre autres : la surveillance des transports en commun (projet 11), la répression de la délinquance économique et financière (projet 39), le transfert des prisonniers (projet 91.2), le fonctionnement des maisons de justice (projet 101)... Cette ébauche de privatisation tous azimuts, encouragée par le projet d'un statut fiscal privilégié pour l'achat de matériel sécuritaire (projet 15), s'effectue bien évidemment sans l'ombre d'une réflexion sur la nécessité de différencier les domaines où, effectivement, l'appui subordonné des sociétés privées pourrait combler le manque de moyens des forces de l'ordre, et ceux où ce type d'aide extérieure se doit d'être rigoureusement interdite en raison du monopole fondamental dont dispose la Police dans le maintien de l'ordre, et ce, notamment sur la voie publique. La démarche de M. Verwilghen se comprend aisément lorsque l'on apprend que son expert ès sécurité, Marc Cools, occupe les fonctions de General manager chez Shielt - division de la multinationale Alstom - société spécialisée notamment dans le service sécuritaire. Et le Ministre d'avancer, en guise de justification préalable (le concept de gestion intégrale de la sécurité, ch. 3.2) que «justice et police ont beaucoup à apprendre du secteur privé »... Nous ne pouvons tolérer cette entorse de taille dans le principe voulant que la sécurité demeure un service public. Aucun dirigeant de sociétés privées n'est politiquement responsable devant la population. Restreindre l'application de cette exigence démocratique est irresponsable, a fortiori lorsque le plan envisage la possibilité pour le bourgmestre de confier un rôle de direction à une entreprise privée dans l'organisation de plans locaux de sécurité (projet 116). Prétendre vouloir valoriser l'Etat de droit démocratique (la sécurité, ch. 2.4) et en saper l'un des fondements essentiels est pour le moins contradictoire et dangereux. En conséquence, nous nous opposons fermement à toute remise en cause du caractère essentiellement public du maintien de l'ordre, et ce, par l'extension des compétences des sociétés de sécurité. Il est démocratiquement nécessaire que la sécurité, à l'instar de l'enseignement ou de la santé, reste un domaine public géré exclusivement par les autorités étatiques, seules responsables devant la population. 3. Les prémices d'une sécurité à deux vitesses Un autre objet d'inquiétude provient des nombreux indices trahissant la volonté de M. Verwilghen d'appliquer le principe « deux poids, deux mesures » en matière de sécurité. L'exemple le plus marquant de cette démarche se trouve dans le type de réformes qu'envisage le Ministre pour, d'une part, la répression des délits financiers, et d'autre part, la poursuite de la petite délinquance. La criminalité en col blanc Le projet du ministre est de décriminaliser le contentieux relatif à la délinquance économique et financière, abusivement présenté comme responsable de l'engorgement de nos juridictions pénales (projets 36 et 44). Reposant sur le concept d'auto-régulation du secteur, l'idée consiste à instaurer des commissions disciplinaires compétentes pour infliger des amendes administratives aux contrevenants (projets 36 et 37). Cette initiative, à laquelle seront associées les organisations représentatives dans les entreprises et les unions professionnelles (projet 36), permettra de mettre en œuvre une répression ad hoc, sur-mesure et intra muros. On est évidemment bien loin des exigences de transparence pourtant fondamentales en matière judiciaire. Soulignons que l'accent est mis sur l'élaboration de procédure in rem permettant la privation de l'avantage frauduleusement obtenu sans qu'une condamnation pénale ne soit possible (projet 40). Ce concept de peines patrimoniales refait surface un peu plus loin dans un contexte totalement différent, celui lié à la criminalité engendrée par la drogue (projets 83 et 85). Ici, par contre, aucune possibilité de décriminalisation n'est envisagée... La petite délinquance Le souci de dépénaliser montre donc rapidement ses limites. Et lorsque la population cible est de classe défavorisée, la tendance est même inverse. Ainsi, le Ministre prévoit l'application d'une politique de tolérance zéro dans des zones bien délimitées où l'on peut constater «une concentration extrême de criminalité», et ce, «jusque qu'à ce que la sécurité des citoyens retrouve un niveau acceptable dans cette région» ( projet 94). On connaît les conséquences désastreuses d'une telle pratique : explosions des plaintes pour violence abusive des forces de l'ordre, surpopulation carcérale, coût exorbitant... Ne s'appliquant généralement qu'à l'égard d'un prolétariat déjà économiquement laissé pour compte, la tolérance zéro est discriminatoire et stigmatisante pour les habitants des zones visées. Visiblement, le Ministre connaît également ces effets néfastes (ch. 7.3, Agir selon la norme). Mais, se fondant sur le principe de proportionnalité ( ?), il avance néanmoins l'utilité que pourrait représenter ce type de politique... Pourtant, l'intégration sociale des populations marginalisées ou exclues est présentée comme l'un des objectifs poursuivis par le plan (Introduction, ch. 1). La contradiction devient totale lorsque le Ministre, dans l'examen de la problématique des grandes villes, pointe la stigmatisation de certains groupes identifiés comme étant « à risque » comme responsable de leur sentiment d'exclusion producteur d'attitudes délictueuses ou inciviles. En tout état de cause, loin de neutraliser la délinquance, la politique de stricte application des normes, par essence géographiquement limitée, ne fait que la déplacer, soit vers des zones où elle n'est pas mise en œuvre, soit à l'intérieur même des institutions carcérales. Il est d'ailleurs évident que la tolérance zéro ne peut exister qu'en parallèle d'une politique pénitentiaire soutenue. Comment, dès lors, avancer l'idée d'une gestion de l'input pénitentiaire afin de supprimer les effets désastreux de la surpopulation carcérale (projet 120) ? Le projet de comparution immédiate (repris dans le plan au projet 93), la possibilité d'incompressibilité de certaines peines (projet 120.2), et plus fondamentalement l'extension ou l'ouverture de nouveaux établissements pénitentiaires (Note de politique générale du Ministre de la Justice pour l'exercice budgétaire 2000) permettent de relativiser les bonnes intentions du Ministre. Il est fondamental que la sécurité soit assurée de manière indifférenciée selon notre position dans la hiérarchie sociale. Décriminaliser un contentieux responsable de la diminution des finances publiques et, en même temps, prétendre mettre fin à la petite délinquance par une répression assidue et discriminatoire est contraire au principe d'égalité essentiel à tout service public. 4. Une politique encourageant la délation Si le plan fait la part belle au secteur privé, le public - entendez la population - est également mis à contribution via la notion de citoyenneté retrouvée (La sécurité, ch. 2.5). Derrière cette terminologie ronflante, se cache, en fait, un appel généralisé à la délation. La délinquance sexuelle est bien entendu le terrain privilégié d'une telle approche et le Ministre prévoit ainsi différentes réglementations qui obligeraient les enseignants et les éducateurs de communiquer aux autorités tout abus sexuel à l'encontre des jeunes (projet 56), cette communication se voyant facilitée par « l'adoption » de l'école par la police de quartier ou par un juge de la jeunesse (projet 64). Mais le plan va plus loin que cette mesure, somme toute classique, et révélatrice du climat sécuritaire engendré par l'affaire Dutroux. En effet, à plusieurs reprises, M. Verwilghen en appelle à la participation active des citoyens au rétablissement de la sécurité. Concrètement, cela passera par : la mise sur pied de réseaux d'information de quartier (projet 1.1), la stimulation de la surveillance et du contrôle social dans les quartiers où se rendent les membres de « bande » (projet 8) une prévention de la toxicomanie axée sur le voisinage (projet 79), et, de manière plus générale, la collaboration de la population, organisée ou non en associations comités de quartier et/ou réseau d'information, à la gestion intégrale de la sécurité à l'échelon local (projet 116). Possibilité est donnée au bourgmestre d'attribuer un rôle de direction à cette population dans la poursuite de programmes liés à la sécurité (projet 116). Dans cette logique d'associer à tout prix la population à la politique ministérielle, les victimes pourraient, quant à elles, prendre part aux décisions concernant la remise en liberté des condamnés (projet 62 concernant la délinquance sexuelle et projet 108 de manière générale). Signalons encore l'association des acteurs économiques locaux (banquiers, assureurs, promoteurs immobiliers...) à la politique de sécurité par la possibilité de conclure des contrats de collaboration avec le bourgmestre (projet 116). On perçoit mal l'opportunité de réglementer ce domaine alors que plusieurs dispositions pénales prévoient déjà dans quelle mesure le citoyen peut participer à la poursuite des criminels. Ainsi, l'article 30 du Code d'instruction criminelle prescrit à tout individu, témoin d'un attentat contre la vie ou la propriété, d'en avertir l'autorité judiciaire. De même, l'article 106 du même code oblige toute personne à saisir l'auteur d'un flagrant délit pour le conduire devant ladite autorité. En outre, la contribution active du voisinage, ainsi que celle des acteurs économiques et sociaux, contredit la nécessaire protection de notre vie privée dans la conduite de nos relations sociales. Notons, par ailleurs, que la notion de vie privée ne semble manifestement pas être une priorité dans le chef de M. Verwilghen. Ainsi, prévoit-il, en matière de criminalité organisée, la mise en œuvre de l'obligation de coopération des opérateurs de réseaux de télécommunication (projet 26), la constitution d'une banque de données ADN nationale (projet 32), et, en matière de criminalité informatique, l'interception des communications (projet 43). Nous ne pouvons accepter cette banalisation du contrôle social dit « de proximité », qui, à travers l'histoire, fut la pierre angulaire des régimes totalitaires. Ce type de surveillance porte manifestement atteinte à la protection de la vie privée. L'institutionnalisation de la surveillance sociale, loin de diminuer la criminalité, contribuerait à engendrer un climat de suspicion et de paranoïa généralisé propice au développement du sentiment subjectif d'insécurité. 5. L'absence de réflexion Il est pour le moins étonnant qu'à aucun moment, le Ministre ne fasse état des conclusions que l'on pourrait tirer des expériences de Neighbourhood watching actuellement suivies dans certaines villes flamandes. En ce qui concerne la tolérance zéro, aucune évaluation sérieuse des expériences étrangères n'est invoquée. De même, le Ministre affirme la validité de la surveillance électronique comme alternative à la peine d'emprisonnement (projet 121.3) sans prendre la peine de commander une évaluation des expériences actuellement tentées. Sans doute, craint-il que les études démontrent que ce type de procédé est nettement moins efficace que ses fabricants ont bien voulu le faire croire. Il est d'ailleurs significatif qu'en Angleterre, l'on s'oriente vers un frein à cette mesure après que les évaluations successives aient dénoncé que, d'une part, les prisonniers rejettent majoritairement le mécanisme, et que d'autre part, loin de diminuer la population carcérale, la surveillance électronique, en multipliant les conditions à la libération, augmentent les risques d'un retour prématuré au sein de la prison. Par contre, la nécessité d'étudier la relation entre pression fiscale et délinquance financière est avancée (projet 15)... Agir à tout prix semble donc avoir été la motivation de M. Verwilghen, soucieux de contenter rapidement un électorat ayant, à juste titre, soif de réformes. L'absence de réflexion généralisée ne pouvait conduire qu'à un plan creux, démagogique, largement inadapté et dont les seules nouveautés ne sont constituées que par de vagues relents de politiques sécuritaires anglo-saxonnes. Nous condamnons la démarche du Ministre consistant à faire précéder le geste au détriment de la pensée. Nous exigeons que l'introduction ou la généralisation de politiques sécuritaires fasse l'objet d'évaluations préalables quant aux effets qu'elles pourraient impliquer par rapport aux objectifs qu'elles prétendent poursuivre. 6. Et les Droits de l'Homme... ? Le Ministre présente son plan comme l'application de l'article 2 de la déclaration, qui, selon lui, définit la sécurité comme un bien auquel chaque individu a droit (La sécurité, ch. 2.3). La sûreté de l'individu est en effet proclamée par la D.U.D.H. mais à l'article 3. L'erreur du Ministre serait-elle révélatrice du peu d'égard qu'il porte au texte universel ? Il y a tout lieu de le croire... Où ont en effet disparu les notions de non-discrimination, de protection de la vie privée, de procès équitable, de dignité humaine, bref autant de principes que l'ensemble du gouvernement est, aujourd'hui, incapable de promouvoir ? Cette démarche visant à isoler l'un des droit consacré par la Déclaration et à l'utiliser pour justifier n'importe quelle dérive sécuritaire est, à nos yeux, particulièrement intolérable. __________________________ Beaucoup de critiques pourraient encore être formulées à l'égard de ce plan : l'absence de propositions concrètes pour lutter contre la traite des êtres humains, l'approche sécuritaire de la délinquance juvénile, la vision essentiellement économique de la toxicomanie, le détournement du concept de justice réparatrice en matière pénitentiaire... Il est dès lors essentiel que chacun, dans son champ d'activité, entame ou continue un travail de réflexion visant, d'une part, à déconstruire l'efficacité des projets présentés, en mettant en évidence leurs dangers potentiels, d'autre part, à avancer une alternative à la logique sécuritaire par le biais de réformes plus conformes aux intentions annoncées. PIERET Julien. _____________________________________________ #<nettime-fr@ada.eu.org> est une liste francophone de politique, art et culture lies au Net; annonces et filtrage collectif de textes. #Cette liste est moderee, pas d'utilisation commerciale sans permission. #Archive: http://www.nettime.org contact: nettime@bbs.thing.net #Desabonnements http://ada.eu.org/cgi-bin/mailman/listinfo/nettime-fr #Contact humain <nettime-fr-admin@ada.eu.org>