/b/u/g/ on Fri, 3 Dec 1999 09:21:04 +0100 (CET) |
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[nettime-fr] De l'appropriation militante d'Internet... |
m u l t i t u d e s o n l i n e .................................... DE L'APPROPRIATION "MILITANTE" D'INTERNET EN CONTEXTE ASSOCIATIF Engagement distancié et sociabilités digitales Par Fabien Granjon Force est de constater que les groupements associatifs animés par un souci général d'avancée démocratique, se sont emparées des technologies de la communication au fur et à mesure de leur mise à disposition par le marché et/ou par les autorités politiques. Faisant écho à un paysage médiatique dont les conditions d'accès se sont libéralisées, une démarche expérimentale d'appropriation de ces "nouveaux" outils s'est investie tour à tour dans la vidéo légère, la production audiovisuelle, la radio, les réseaux câblés, la télématique et aujourd'hui l'Internet, avec cette idée d'entériner dans les faits un pluralisme de diffusion et de création, afin que des voix nombreuses et diverses se fassent entendre et qu'il y ait, de facto, une diversité des sources d'information permettant à la société civile de se départir de la tutelle des pouvoirs constitués. Dans La révolution moléculaire, Félix Guattari [Guattari, F. : 1977] exprimait d'ailleurs une identique appréhension de la situation et parlait volontiers de l'exigence d'instruments de lutte contre "les formes diverses de matraquage et de domestication". L'intuition de pouvoir créer de nouvelles pratiques sociales et de nouvelles sociabilités, à partir même d'un développement renforcé des usages liés à ces technologies de communication, a également joué un rôle prépondérant dans ce choix de pourvoir la société civile de machines à communiquer plus performantes. Cet intérêt toujours renouvelé pour l'innovation technique que l'on présuppose donc, aussi, toujours susceptible d'être à la base de nouvelles dynamiques sociales, cache finalement un bilan pour le moins en demi-teinte, dans tous les cas bien en deçà des espérances initialement attendues par les promoteurs-animateurs de ces divers projets. Paradoxalement, les choix techniques n'ont guère été pensés comme recouvrant toujours des choix stratégiques orientés. Ils n'ont été que peu considérés comme des lieux de pouvoir où peuvent se définir des règles du jeu social. Malgré une certaine acuité des associations dans le domaine du politique, la justification, ainsi que la légitimité de leurs investissements technologiques, ont eu tendance à être uniquement fondées au regard d'une prétendue nature des choses et de l'évolution "naturelle" de la technique. Dans cette perspective générale d'utilisation des prothèses de communication par les associations, nous nous intéresserons plus spécifiquement, ici, aux groupements associatifs relevant d'un engagement distancié [Ion, J. : 1997], organisations que nous nommerons également associations "post-militantes". Nous pensons en effet qu'il peut s'avérer fort heuristique de penser les usages liées à l'Internet en contexte de "militance" comme étant la traduction techno-logique de ce type précis d'engagement. L'appropriation de ces "nouvelles" technologies numériques serait en effet susceptible de servir, supporter, renforcer et objectiver (matérialiser) cet engagement distancié. Programmatique et prospectif, le présent texte se donne pour objectif de poser quelques jalons de façon à examiner les pratiques de communication liées au développement des plus récents réseaux télématiques, et ce, dans le cadre particulier d'un renouvellement des formes associatives du militantisme. De l'engagement distancié : La thèse que défend Jacques Ion est la suivante : les ressorts classiques de l'engagement associatif civique sont en voie de modification, sinon de consomption, et décrivent le passage d'un militantisme traditionnel (par rapport auquel s'était par exemple organisé l'ensemble du mouvement ouvrier), à un engagement distancié dont les symptômes se lisent tout autant dans le renouvellement des modes d'action collective que dans les formes de sociabilité par ailleurs convoquées. Il insiste tout particulièrement sur le fait que les modes d'implication dans la sphère publique continuent à être considérés à l'aune d'une représentation emblématique du militantisme construite sur le modèle de l'engagement syndical des années de croissance, largement normative et surtout inadéquate pour envisager et comprendre ce qui se joue actuellement avec l'émergence des nouvelles formes associatives, qui correspondraient à l'évolution des rapports entre la société et l'individu. À suivre cet auteur (il n'est toutefois pas le seul à défendre cette vision des choses), il convient donc de replacer notre interrogation dans le cadre général des transformations du militantisme, des modes d'engagement et des pratiques associatives : types de structuration, modalités de fonctionnement, modes d'insertion des individus, régimes d'action des groupements. L'évolution des formes, des référents, des causes comme des contenus de l'action collective constitue alors l'arrière-fond à partir duquel il nous semble intéressant d'interroger l'utilisation des nouveaux réseaux télématiques par ces associations "post-militantes". De façon succincte, l'on peut présenter les caractéristiques des groupements associatifs "post-militants" en huit points. En premier lieu, les associations de la "militance" ne s'inscrivent plus au sein de réseaux idéologico-politiques par l'intermédiaire desquels était enchâssé généralement les associations revendicatrices. Avec les associations de l'engagement distancié, on assiste à une perte d'influence de la forme fédérale au profit d'inscriptions associatives indépendantes des réseaux d'appartenance. En second lieu, l'intrication des Nous communautaire (privé) et sociétaire (public), caractéristique des associations militantes, serait en passe de se redistribuer de manière bien différente. Le Nous du collectif local, rassemblé autour des proximités sociales et géographiques circonscrites et requalifié par une appartenance à un Nous supérieur, laisserait ainsi place à un modèle évolutif où valeurs de sociabilité et identités collectives seraient davantage indépendantes les unes des autres. L'entre-soi militant ne serait plus indissociablement communautaire et sociétaire, et l'adhésion ne serait plus forcément synonyme de renforcement d'une identité collective . Avec les associations "post-militantes", le groupement local - ou le groupement spécialisé - entend davantage tirer sa légitimité de son terrain d'action spécifique. Le Nous paraît ainsi davantage devoir être le résultat de l'action que son référent initial. Troisième point, cette dissociation croissante entre appartenances primaires et engagement "militant", conduit secondairement à une transitivité grandissante des individus à travers les divers groupements associatifs. On assiste alors à un phénomène de multi-participations individuelles, l'un et l'autre de ces processus profilant un ensemble d'interconnexions témoignant d'une reconfiguration dans la structuration de la vie associative. Par ailleurs, avec l'engagement distancié, on passe de la longue durée à l'expérience et à l'efficacité. C'est l'exemple de l'action qui devient prépondérant, remettant en cause une légitimation ancrée dans le communautaire, calquée sur le modèle politique, et qui met davantage en jeu les individus en tant que personnes. Les formes associatives qui s'en dégagent se donnent à voir comme des communautés d'action qui ne préexistent pas à l'engagement de ses membres et évoluent donc parallèlement aux projets de mobilisations. En contrepoint, se renégocie également, selon un processus contraire, de disjonction, les rapports entre le Je et le Nous. Vie militante et vie privée se définissent alors de façon plus dissociée et dans le même temps, au lieu que l'individu adhérent ne compte que par le rôle que lui confère le groupement, c'est au contraire son individualité spécifique détentrice de ressources et de compétences particulières (en information, en relation, en expertise, etc.) qui le en fait une pièce maîtresse du dispositif. La période récente inaugurerait ainsi une nouveauté assez radicale, à savoir l'usage militant de compétences privées ainsi que le déploiement de ressources professionnelles dans l'exercice associatif au profit de l'efficacité de l'action du groupement, c'est là notre cinquième point. Sixième point, les procédures de représentation et les mécanismes de délégation ne sont plus pensés comme allant de soi. La prise de parole n'apparaît plus devoir être réservée aux seules personnes désignées et les processus même de désignation sont suspectés d'entretenir une forme spécifique de rapports de force entre les membres associés, électeurs d'un côté et mandatés de l'autre. C'est en fait la césure entre l'élite associative et la masse des adhérents qui est remise en cause. Les acteurs associatifs expriment leur souci de prendre une part active et directe à la résolution de certains problèmes de société. Ils ne se satisfont plus d'agir par délégation. Pénultième caractéristique, c'est également le principe d'une légitimité qui se gagne par le nombre qui est ici critiqué, celui-là même qui a été directement emprunté aux formes de la démocratie représentative et de la légitimité politique. Si la possibilité de faire nombre et de mettre en visibilité la multitude fait toujours partie des répertoires d'action, elle n'est pourtant plus la panacée des stratégies d'intercession. Il existe bien d'autres formes d'intervention que celles fondées sur le nombre, et qui semblent tout autant susceptibles d'affirmer puissance et légitimité des groupements. Le paravent constitué de la masse des individus anonymes, s'il permettait aux groupes organisateurs d'avancer protégés en leur conférant une certaine ampleur, il cachait dans le même temps une conception de l'individu interchangeable au regard d'un Nous sociétaire, qui lui, était considéré comme unique et insécable. L'acteur se substitue en quelque sorte à l'atome. Enfin, les formes de l'action collective associative les plus récentes, bien que très diverses, ont tendance à se tourner vers une sorte d'idéalisme pragmatique c'est-à-dire vers le maintient d'objectifs à long terme, mais couplé à la recherche d'une efficacité plus ou moins immédiate à base, notamment, d'opérations "coups de poing". Cette orientation de l'intervention et de la revendication s'observe par exemple, à travers l'interpellation directe et parfois spectaculaire de l'opinion publique et de la sphère du politique. Une traduction techno-logique de l'engagement distancié : En voulant s'intéresser à la rencontre de certains groupements associatifs avec les plus récents dispositifs de communication sur réseaux, notre ambition est double et s'inscrit dans le sillage ouvert par Harold Innis envisageant les conjonctions entre formes politiques et moyens de communication : d'une part, s'enquérir de la façon dont la technique peut supporter une forme associative d'action politique, et d'autre part, envisager le contenu à proprement parler politique des technologies de l'Internet au sens où elles constituent nécessairement des "éléments actifs d'organisation des relations des hommes entre eux et avec leur environnement" [Akrich, M. : 1987]. Une action collective incorpore forcément toujours des agencements techniques divers, des objets et des instruments forts variés qui l'objectivisent et lui fournissent un appui matériel relativement stable. Analyser l'action collective de type associatif nécessite alors d'interroger les systèmes d'actants convoqués ainsi que la façon dont sont agencés les dispositifs techniques aux acteurs humains. En un mot, c'est chercher à comprendre l'investissement dont ces objets et dispositifs sont la cible de la part des êtres sociaux, et à circonscrire ainsi les éléments d'opportunités et de contraintes qu'ils constituent au regard de l'action critique envisagée. Pour le dire autrement, il s'agit de mettre en lumière, les nouvelles conditions de production, de circulation, de transmission et d'exercice de certaines formes d'action associative et de critique sociale. Si l'on suppose pertinent de reconnaître avec Josiane Jouët que l¹architecture technique d'un dispositif machinique peut contribuer à la construction du lien social [Jouët, J. : 1994], étant entendu par ailleurs qu'aucune machine ne porte cette évidence en elle-même, il n'est pas incongru de présenter ces "nouveaux" réseaux télématiques comme un des éléments susceptibles de participer à des déplacements dans la façon dont les associations se structurent, agissent, définissent leurs objectifs, leur identité, leurs postures de relation à l¹action, l'ajustement de leurs conduites quotidiennes aux circonstances de l'action, et négocient les modalités de leur présence et de leurs engagements au sein du tissu social. Selon toute vraisemblance, l'Internet participe ainsi au soutien, à la permanence, à l'extension et même à la création de réseaux sociotechniques (il définit des acteurs, un espace et leurs relations au sein de cet espace) qui alimentent à des degrés divers, par spécification conjointe du social et du technique, l'investissement civique propre au regroupement associatif. On peut, à ce moment-là, rechercher ce que l'on pourrait appeler un système d'action protestataire, conçu comme une abstraction théorique permettant de mettre en valeur les relations interdépendantes qui se nouent entre les dispositifs techniques et les associations revendicatrices. De la même façon que Madeleine Akrich [Akrich, M. : 1987] décrit le groupe électrogène à réservoir comme élément central dans l'organisation de certaines sociabilités villageoises africaines, l'on peut penser que l'Internet fixe et met en forme de manière spécifique, certaines relations des associations avec leurs "environnements". L'objectif est donc de réaliser une sociographie de l'Internet associatif, en tant qu'il peut se définir comme une sorte d'arène digitale [Hilgartner, S., Bosk, C. : 1988]., c'est-à-dire comme un système hybride organisé, à l'aide duquel les forces sociales associatives peuvent se faire voir, se faire entendre, et sur lequel elles peuvent s'appuyer pour optimiser leurs objectifs de justice sociale. Les associations sont à considérer, à la fois comme des espaces publics sociaux et des espaces publics politiques. Si Internet peut avoir quelque ascendants sur ce type de dispositifs organisationnels, c'est d'abord sur le groupement associatif en tant que communauté d'action que ses effets structurants pourront être constatés, et fort secondairement sur l'association en tant qu'espace public politique. Comme le note Asdrad Torrès, "l'utopie d'Internet c'est de croire que la dynamique Internet va bouleverser l'ordre des choses" [Torrès, A. : 1996]. Passer de la sociabilité communautaire à la citoyenneté sociétaire, c'est-à-dire à la traduction des préoccupations communes en problèmes publics, appelle forcément davantage que la simple agrégation des subjectivités dans de nouvelles communautés, fussent-elles virtuelles. L'interactivité technique n'est pas forcément synonyme de coopération ou d'interaction sociale et il y a une grande candeur à croire que les réseaux télématiques puissent provoquer d'eux-même une redistribution sociale et politique. Cependant, les groupements associatifs de l'engagement distancié partagent en partie avec les nouveaux réseaux télématiques, un imaginaire social dont les principes fondateurs sont réglés sur le mythe l'auto-organisation de la société civile et de la participation active des citoyens. Mais cette concomitance métaphorique qui opère en première instance sur des qualités supposées partagées, est-elle observable dans les faits ? Deux orientations spécifiques sont alors à envisager : d'une part l'évaluation précise de ce en quoi les "nouveaux" réseaux télématiques renforcent l'engagement associatif distancié et lui sont (ou pourraient lui être) utiles ; et d'autre part, à condition que cette transitivité évoquée s'avère factuellement effective : l'appréciation de la valeur de l'engagement digital (la pratique des réseaux est-elle susceptible de nourrir un engagement au sein des groupements associatifs convoqués ?) Quelques hypothèses de travail : Les associations relevant de l'engagement distancié appellent des formes de fonctionnement plus flexibles dont Internet pourrait fournir les bases et permettrait une amélioration des performances associatives à différents niveaux : au niveau de la concertation, de la décision, de l'organisation du travail (despatialisation, désynchronisation, renforcement des capacités d'analyse, accès inédit à la transversalité, possibilité d'une gestion émergentes des points de vue). Le réseau des réseaux pourrait également être à même de renforcer les logiques d'expertise et de servir la nécessité pour les associations d'argumenter leurs contestations et leurs actions. Il ouvre, d'autre part, de nouvelles formes d'intervention dans l'opinion publique (représentation des intérêts, montée en généralité, dialogues et débats, (ré)activation d'une "conscience politique", mais aussi recrudescence de la dimension symbolique des luttes : systématisation d'un travail volontaire de mise en scène, de construction d'images autour des groupes et des causes), et permet une production directe d'informations contextualisées (collecte, capitalisation, centralisation, création de bases de données)... Par ailleurs, les associations de l'engagement distancié dessinent une géographie architecturale de la structuration associative qui se construit sous forme de réseaux et dénote un comportement réfractaire à l'encontre des processus de délégation de pouvoir. De la même façon que le modèle d'usage des réseaux télématiques renverse la logique de diffusion des mass-médias, les associations de la militance renversent les principes de l'action politique traditionnelle. Internet offre potentiellement les bases matérielles d'une remise en cause de l¹exercice de l¹autorité et des valeurs collectives de référence. Il contribue à l'évolution du caractère hiérarchique des institutions associatives vers un modèle plus diffus où la capacité à mobiliser des individus au service d'objectif, pourrait reposer, au moins en partie, sur des investissements de formes technologiques et non plus sur des inscriptions associatives dépendantes de réseaux d'appartenance pré-constitués. Internet offrirait la possibilité de s'adresser de façon indifférenciée à l'ensemble de la population et des citoyens, et permettrait une redistribution de l'expression directe, de la prise de parole et plus généralement de la participation visant à l'amoindrissement des processus de délégation et de représentation. Le recours à la médiation technique permettrait alors d'instituer de nouveaux rapports entre la base et le sommet, fondés sur le développement d'échanges horizontaux, empruntant à la structure neuronnale des réseaux télématiques. Par ailleurs, les sociabilités électives naissant au sein des communautés associatives d'action trouvent leur pendant dans l'autonomie sociale qui se manifeste au sein des réseaux et des technologies numériques. Ces sociabilités se distribuent d'ailleurs selon une double modalité, qui est à la fois celle de la valorisation et de la reconnaissance d'un acteur autonome et singulier et de ses compétences individuelles, ainsi que celle d'un engagement toutefois partagé. Les inscriptions associatives du modèle de la militance sont indépendantes des réseaux d'appartenance classiques. À cet égard et dans le sillage de Pierre Chambat, qui insiste sur le fait que l'accès au réseau se réalise de manière volontaire ("L'usager choisit d'entrer dans un réseau qui correspond à sa demande" [Chambat, P. : 1994]), on peut penser que la participation à des activités associatives on-line repose sur de réels intérêts partagés susceptibles de conduire à une participation dépassant celle des réseaux digitaux. D'autre part, on peut envisager qu'Internet puisse contribuer à renforcer les relations diffuses qui caractérisent une partie des sociabilités présentes au sein des organisations associatives de la militance. Comme l'a démontré Howard Rheingold, les communautés virtuelles qui ont une réelle activité sont en fait des communautés hybrides, c'est-à-dire que "les gens qui interagissent les uns avec les autres par l'intermédiaire de leurs modems se rencontrent physiquement. (...) Vie réelle et vie sur le réseau s'entremêlent inexorablement" [Rheingold, H. : 1995]. De la même façon, les membres des groupements associatifs de l'engagement distancié peuvent maintenir le contact par le biais du courrier électronique. Vie militante publique et vie privée trouveraient ainsi le moyen de s'accorder de nouveau à moindre frais . La logique serait alors inverse à celle décrite par Rheingold. Les échanges virtuelles renforceraient les sociabilités en vigueur au sein de la sphère associative de la militance. Elle trouverait sur le réseau des réseaux, un moyens de solidifier la composition des communautés politiques dont elle est constituée, définies par l'absence d'espace commun a priori. Internet fortifierait par exemple les liens entre des membres inconnus les uns des autres, qui se mobilisent ponctuellement, mais pouvant être cependant individuellement très actifs. Le dispositif technique forgerait des groupes sociaux capables de s'instituer en communauté de référence, indépendamment d'un lieu, d'une culture, ou d'une nation (l'ampleur et l'envergure des mobilisations peuvent être tout aussi bien nationale que locale - Nous local partiel - ou internationale - Nous global universel). De manière identique au fait qu'il existerait la possibilité d'un affermissement des relations interindividuelles par le biais de la médiation technique, cette dernière pourrait également prévaloir à la constitution ou au contentement de regroupements interassociatifs, et/ou à l'accroissement de la transitivité des individus à travers les diverses entités associatives. Internet catalyserait en quelque sorte la reconfiguration avec les associations de la militance dans la structuration de la vie associative. Enfin, nous avons vu supra que les groupements associatifs de l'engagement distancié décrivaient un modèle d'organisation que nous avions qualifié d'exotérique, dont les frontières sont travaillées en permanence et dont l'unité respective est essentiellement due aux actions menées de concert. C'est ce qui est éprouvé en commun qui forge finalement dans ce modèle le sentiment identitaire. La question qui se pose alors est celle de la transposition de telles idiosyncrasies sur les réseaux numériques. L'investissement des réseaux par cette catégorie d'acteurs associatifs ne saurait être simplement considérée comme l'appropriation d'un nouveau média mais peut-être aussi comme l'émergence d'une autre version de l'espace public compris comme le lieu d'une production collective de subjectivité (Félix Guattari). Le concept de sphère publique et son principe de Publicité qui, jusqu'alors constituaient davantage un système axiologique et un horizon d'attentes normatives, deviennent, à être construits comme réseaux sociotechniques, le lieu d'exercice d'une praxis généralisée capable de renouveler les modalités d'orientation des actions, d'évaluer, de hiérarchiser, d'associer, d'étayer des décisions sur de nouvelles données, de faire émerger de nouvelles pratiques sociales orientées co-existantes des opérations et des procédures d'organisation/construction d'une nouvelle visibilité sociale. L'espace public sous les conditions techno-politiques des "nouveaux" réseaux télématiques désignerait aussi le lieu de la constitution d'un monde commun, d'une intersubjectivité pratique permettant "aux partenaires de spécifier le mode sur lequel ils se rapportent temporairement les uns aux autres et au monde, et donc de construire, de façon concertée et sur le mode du ³sens incarné², ce qu¹ils se rendent mutuellement manifeste ou sensible dans l¹interaction : à savoir une façon de se lier, une structure d¹attentes réciproques, un monde et un horizon communs" [Quéré, L. : 1991] Nous pourrions alors peut-être avancer sur le modèle du tiers symbolisant, la notion de tiers processuel, afin d'exprimer les conditions d'émergence de contextes sémantiques de description et de régimes de signes inédits, ainsi que celles d'une phénoménalité techno-politiques dont la base est cette capacité pour les communautés associatives de pouvoir façonner leurs propres contextes de publicisation et prendre part à l'exercice conflictuel de l'expression de leurs intérêts. Conclusion : Les groupements associatifs de l'engagement distancié, parce qu'ils peuvent être considérés comme une forme à part entière de la participation politique qui ne saurait uniquement s'exprimer dans l'acte de vote, parce qu'ils supportent de nombreuses formes d'actions collectives qui contribuent à souligner et définir des problèmes par rapports auxquels peuvent être attendues des actions étatiques, parce qu'ils sont aussi des agencements collectifs d'énonciation et d'expression d'identités collectives, parce qu'ils donnent aussi les bases d'une citoyenneté et d'une communauté politique maintenues par de l'agir en commun, parce qu'ils dessinent en creux un renouvellement de l'intervention des masses dans le champ social, etc., pour toutes ces raisons, ce type de fait associatif réclame la plus grande attention. De la même manière, si l'on s'accorde à considérer avec Félix Guattari qu'une attitude responsable au regard de notre devenir technologique, est de s'approprier collectivement, politiquement et démocratiquement les plus récents systèmes d'information et de communication afin de leur "conférer des finalités convenables", alors, il convient au plus grand nombre de s'intéresser à ce que Régis Debray qualifie de mise sous tension éthique de la technique, c'est-à-dire la nécessité impérieuse d'avoir à "prévoir [et à assumer] les plus fortes pentes des systèmes à naître (...) afin de pouvoir faire avec, contre ou sans..." [Debray, R. : 1994]. Fabien Granjon Doctorant IFP/Paris 2 fgranjon@club-internet.fr Références bibliographiques : AKRICH, M., "Comment décrire les objets techniques", Techniques et Culture, n°9, janvier-juin 1987, pp.49-64. CHAMBAT, P., "NTIC et représentations des usagers", in VITALIS, A. (sous la dir.), Médias et nouvelles technologies. Pour une sociopolitique des usages . Apogée, Rennes, 1994, pp.45-59. DEBRAY, R., Manifestes médiologiques, Gallimard, Paris, 1994. GUATTARI, F., La révolution moléculaire, 10/18, UGE, Paris, 1977. GUATTARI, F., Chaosmose, Galilée, Paris, 1992. GUATTARI, F., "Pour une refondation des pratiques sociales", Le Monde Diplomatique, n° 463, octobre 1992. HILGARTNER, S., BOSK, C., "The Rise and Fall of Social Problems", American Journal of Sociology, vol. 94, 1988, pp.53-78. ION, J., La fin des militants ?, Les Éditions de l¹atelier, Paris, 1997. JOUËT, J., "Relecture de la société de l'information", in CHAMBAT, P. (sous la dir.), Communication et lien social, La Villette-CSI/Descartes, Paris,1992, pp.177-189. JOUËT, J., "Le changement social à l¹aune des médiations de communication", MEI (Média et Information), n°2, 1994, pp.47-53. QUÉRÉ, L., "D¹un modèle épistémologique de la communication à un modèle praxéologique", Réseaux, n°46-47, mars-avril/mai-juin 1991, pp.69-90. RHEINGOLD, H., Les communautés virtuelles. Autoroutes de l'information : pour le meilleur ou pour le pire ?, Mutations technologiques, Addison-Wesley, Paris, 1995. TORRÈS, A. (interview), Le mythe Internet, Terminal, n°71-72, Été-automne 1996, pp.89-93. . . . . / b / u / g / bug@samizdat.net l o s t i n c y b e r s p a c e . . . _______________________________________________ #<nettime-fr@ada.eu.org> est une liste francophone de politique, art, culture et net, annonces et filtrage collectif de textes. #Cette liste est moderee, pas d'utilisation commerciale sans permission. #Archive: http://www.nettime.org contact: nettime@bbs.thing.net #Pour vous desabonner de cette liste, suivez les instructions sur http://ada.eu.org/cgi-bin/mailman/listinfo/nettime-fr #contact humain : nettime-fr-admin@ada.eu.org